Salon de coiffure Sacré-Cœur, rue Beaubien Est. Elvis et Jésus, divinités protectrices du kitsch, veillent sur les lieux.
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Prudence Heward, Au théâtre (1928)
Au musée des Beaux-Arts de Montréal, découverte du groupe de Beaver Hall dont je m’étonne de n’avoir jamais entendu parler alors qu’au temps de mon adolescence on nous rebattait les oreilles avec le sempiternel groupe des Sept.
Le groupe doit son nom à l’adresse d’un studio partagé, au 305 de la côte du Beaver Hall. Ses membres s’étaient connus durant leurs années de formation à l’Art Association of Montreal, où ils avaient reçu l’enseignement de William Brymner. Son existence fut brève : de 1920 à 1923, le temps d’organiser quatre expositions collectives. Il n’en a pas moins joué un rôle significatif dans la vie artistique montréalaise et le développement de l’art moderne au Canada.
Si ses membres entretenaient assurément des affinités esthétiques, le groupe ne constitua nullement une école mais plutôt une association informelle d’individualités fortes s’épaulant mutuellement au quotidien et partageant le même style de vie « bohème ». Contrairement au groupe des Sept, qui se concentrait principalement sur les paysages canadiens, les peintres de Beaver Hall exploraient une grande variété de sujets, dans des styles ressortissant à divers courants du modernisme figuratif de l’entre-deux-guerres. Peut-être cette absence d’unité stylistique explique-t-elle que les Beaver-halliens, contrairement aux Sept, n’aient pas laissé d’empreinte dans la culture générale. Parmi les tableaux exposés au musée, plus que les paysages et les natures mortes, se détachent nettement de beaux portraits et des scènes de la vie montréalaise.
Outre ce thème urbain, la singularité la plus frappante du groupe est le nombre important, exceptionnel à sa date, d’artistes femmes en son sein, ayant toutes envisagé la pratique artistique comme une activité légitime à temps plein (et non comme une occupation « du dimanche ») et mené une vie indépendante et libre au regard des conventions sociales de l’époque (une seule d’entre elles, à ce que j’ai lu, Lilias Torrance Newton, convola en justes noces et fonda une famille, sans pour autant cesser de peindre).
Les membres du groupe : Nora Collyer, Emily Coonan, James Bisset Crockart, Prudence Heward, Randolph Stanley Hewton, Edwin Holgate, A. Y. Jackson, Mabel Lockerby, Mabel May, Kathleen Morris, Lilias Torrance Newton, Sarah Robertson, Anne Savage, Ethel Seath, Adam Sherriff Scott, Regina Seiden et William Thurtan Topham.
Randolph Stanley Hewton, Carmencita (1922)
Les expositions du musée McCord consacrées à la mode sont toujours réussies, qu’il s’agisse de présenter une époque (la mode de l’Expo 67 à Montréal), l’œuvre d’un couturier (Balenciaga) ou celle d’un photographe (Horst P. Horst). L’exposition Norman Parkinson, photographe anglais dont j’ignorais l’existence, ne déroge pas à la règle.
Photographe de mode et portraitiste de vedettes (Audrey Hepburn, David Bowie, Jane Birkin, les Beatles et les Rolling Stones…), Parkinson a été actif durant près de six décennies, des années 1930 à la fin des années 1980. Associé principalement à Vogue, il a collaboré à d’autres magazines, tels que Harper’s Bazaar, Queen et Town & Country. Aussi doué pour le noir et blanc que pour la couleur, il appartient à la génération qui a réinventé la photographie de mode, en délaissant les poses statiques au profit d’un style dynamique et vivant, non dénué d’humour, et en faisant sortir les mannequins des studios pour investir les lieux extérieurs. L’impression de spontanéité qui se dégage de nombre de ses images s’appuie sur un sens très sûr de la composition.
Bien conçue, scénographiée et proportionnée (ni trop ni trop peu), l’exposition présente quatre-vingt photographies et une soixantaine de couvertures de magazines. En regard, une dizaine de robes et d’ensembles splendides de grands couturiers français, italiens et anglais, réalisés entre les années 1930 et 1970.
Les coïncidences heureuses. Dans une ville étrangère, alors qu’on vient de commencer la lecture du nouveau Jean Rolin, tomber nez à nez dans une vitrine sur des papillons morphos qui furent, pour l’auteur, l’élément déclencheur de l’écriture du livre.
Edward Loëvy, le Dandy nonchalant (1901)
La collection du musée de Pau est assez pauvre – du moins, soyons prudent, l’accrochage actuel – si on la compare à celles d’autres musées de province tels que ceux d’Angers, Rouen, Dijon, Agen… (Mais l’on me dit que le musée a proposé, l’année dernière, une remarquable exposition Goya.)
On a été privé du Dandy nonchalant d’Edward Loëvy, en punition dans les réserves, situation d’autant plus absurde que ce tableau a dû être tenu jusqu’à une date récente pour une œuvre phare de la collection du musée, propre à motiver l’édition d’un mug, toujours proposé à la vente, lui, dans la maigre boutique. Un émule de Philippe Muray pourrait en tirer une allégorie de la consommation culturelle contemporaine : vous ne verrez pas l’original mais vous pouvez acheter le mug.
On s’est consolé de l’absence du Dandy avec un autre aimable nonchalant, au second plan d’une toile d’Henri Zo, contemporaine du tableau de Loëvy.
Henri Zo, le Patio (1907)
Passage éclair à Montpellier pour raisons professionnelles, et trop brève échappée – pour cette raison un peu frustrante – dans cette ville aux labyrinthes emboîtés : plan déroutant du musée Fabre ; dédale de la vieille ville ; lacis, au soir tombant, des allées du Jardin des plantes que hantent tant de fantômes : Paul Valéry, Pierre Louÿs, Valery Larbaud, Jorge Luis Borges.
Au musée Fabre, ce sont deux tableaux maniéristes qui m’ont fait vibrer : l’un de Jean Cousin, l’autre d’Alessandro Allori, élève et fils adoptif de Bronzino. Au passage, je me suis demandé si mon goût croissant pour le maniérisme (Pontormo au premier rang) n’était pas en partie une réaction à l’air du temps : plus l’époque encourage, dans la fiction et pire encore en poésie, le déballage sans filtre au nom d’une sacro-sainte authenticité (« je balance mes tripes et prends ça dans ta gueule ») et plus me séduit cet art distancé, cérébral et savant, aux tons froids, antinaturaliste, truffé d’allusions compliquées, où le feu couve sous la glace.
Jean Cousin le Père, Allégorie de la Charité
Alessandro Allori, Vénus et Cupidon