Montréal, rue Saint-Urbain
D’une ville où le Soleil se lève au Sud et se couche au Nord, rien ne saurait nous étonner.
Montréal, rue Saint-Urbain
D’une ville où le Soleil se lève au Sud et se couche au Nord, rien ne saurait nous étonner.
À cinq cents mètres d’intervalle, deux preuves irréfutables des impasses de la religion.
Montréal, boulevard Gouin
Si l’on entend par tube une chanson qui vous reste obstinément vissée dans la tête après une seule écoute à la radio — vous happe au saut du lit, vous accompagne sous la douche, vous poursuit en promenade, parasite vos lectures et hante vos insomnies —, alors voici le tube de notre été. Cliquez à vos risques et périls.
C’est une abomination sans égale que d’avoir à se lever, et je suis chaque matin ébahi de me retrouver debout.
… écrivait Lytton Strachey à Virginia Woolf au plus froid de l’hiver 1922. La phrase convenant aussi bien, sinon mieux, à un temps de canicule, ce sera notre pensée des jours torrides.
23 juin
Liège
— Devant la gare des Guillemins. Dans sa guérite, le préposé à la vente des cartes de bus lit un roman d’espionnage vieillot de Georges Pierquin, 40 Hommes, 1 cargo, publié aux Presses noires, dont la couverture rappelle les Fleuve Noir des années 1960.
24 juin
— Gare des Guillemins, quai no 3, huit heures du matin. Une jolie blonde farfouille dans son sac et en tire The Book of Illusions de Paul Auster. Survient une brune en robe noire tenant à la main les Déferlantes de Claudie Gallay.
29 juin
— Gare des Guillemins, quai no 3. Une lectrice de l’Invitée de Fontenay de Frédérick d’Onaglia et une autre de la Consolante d’Anne Gavalda.
Dans le train Liège-Bruxelles
— À mes côtés, un trentenaire blond lit un roman allemand. De biais derrière nous, une jeune femme semblant sortie d’un film des années 1920 est plongée dans les œuvres d’Herman Hesse, collection Bouquins. Devant moi, une brunette lit In tenebris de Maxime Chattam.
Bruxelles
— Métro Arts-Loi, direction Gare de l’Ouest. Un lecteur de Patricia Cornwell.
— Deux lectrices Gare centrale, mais le titre de leurs livres se dérobe à tous mes coups d’œil.
Liège
— Gare des Guillemins, quai no 2. Une jeune femme descend du train tenant Dans la main du diable d’Anne-Marie Garat.
30 juin
Dans le train Liège-Bruxelles
— Une trentenaire brune s’initie aux Us et Coutumes russes.
— La jeune femme blonde en face de moi lit la Première Nuit de Marc Levy — sans doute l’auteur le plus souvent cité dans cette rubrique, hélas. Quant à ce que lit l’autre jeune blonde assise à ma gauche de l’autre côté de l’allée centrale, impossible de le savoir.
Bruxelles
— Gare du Nord. Planté au milieu du passage souterrain, un grand type lit Mes étoiles noires de Lilian Thuram, indifférent à la foule des voyageurs pressés qui le contournent pour gagner la sortie
— Dans le métro, un homme debout en équilibre instable lit un livre grec.
— Sur le quai du métro Arts-Lois, une dame en blanc passe en coup de vent tenant en main un roman de Katherine Pancol, avec un doigt en guise de marque-page. On n’a pas pu lire le titre, mais on a reconnu la maquette d’Albin Michel.
— Gare centrale, assise au bas de l’escalier conduisant aux quais nos 3 et 4, une brune frisée en robe blanche est plongée dans Purge de Sofi Oksanen.
— Sur le quai no 3, un quinquagénaire corpulent portant des lunettes de soleil (dans une gare souterraine ??) lit un volume de fantasy, The […] Legion.
Dans le train Liège-Bruxelles
— À Bruxelles-Nord, monte une jeune femme blonde en robe à fleur qui s’installe en face de moi et ouvre Der Duft der Erinnerung de Deana Zinssmeister.
— À notre gauche, de l’autre côté de l’allée, une dame lit un énorme roman à couverture bleue, qu’elle met de côté lorsque s’éveille l’amie qui lui fait face.
1er juillet
— Et celles-ci, que lisent-elles ? Mystère.
On est presque jaloux de n’avoir pas eu l’idée avant lui. Au hasard de ses pérégrinations dans les supermarchés, Philippe Billé a entrepris de collecter les listes de courses abandonnées. Il en a tiré un livre dont l’Éditeur singulier nous apprend l’existence et qu’il commente impeccablement ici. Inutile d’ajouter que je me suis empressé de le commander.
Plus chic, Liza Kirwin, conservatrice des manuscrits au Smithsonian’s Archives of American Art, a réuni dans Lists une septentaine de notes, pense-bête, inventaires, listes d’adresses, de livres à lire, de choses à faire… de la main de grands artistes du XXe siècle tels que Picasso, Calder, Cornell, Kline et de Kooning. Nous devons cette fois l’information à un billet joliment illustré de Richard Weston, et l’on peut également aller lire ici la présentation de l’éditeur.
Paulhan derechef, et sa brièveté légendaire. À partir de mars 1937, la Nouvelle Revue française proposa à la fin de chaque livraison un bulletin des événements, des livres et des spectacles. La rubrique était tantôt anonyme et tantôt signée Jean Guérin — alias Paulhan lui-même, qui avait comme on sait le goût du secret, des masques et de la mystification1. La concision lapidaire de ces brèves et leur ironie à froid doivent beaucoup, ce me semble, à notre cher Fénéon, auquel Paulhan consacrera en 1943 un essai fondamental, F.F. ou le Critique (repris cinq ans plus tard en préface à un volume d’Œuvres de Fénéon ; réédité en 1998 par Claire Paulhan, cette femme admirable, avec un important dossier critique).
Comme chez l’auteur des « Nouvelles en trois lignes », un fait parfaitement épinglé, en l’absence apparente de tout commentaire, devient en soi un commentaire. Par exemple dans cette brève, qui date de septembre 1937 :
Berlin. On fête la vente du trois millionième exemplaire de Mein Kampf, qui est en Allemagne le plus répandu des cadeaux de noces.
Et, comme Fénéon (voir ici), Paulhan est passé maître dans l’art de la dernière petite phrase assassine :
La mythologie pour tous, le donjuanisme petit-bourgeois, la philosophie première, l’apothéose d’un immonde crémier, ce sont autant de sujets que Jean Dutourd traite, dans un style élégant, avec éclat, abondance, désinvolture. Avec succès. Et quoi de plus ? On souhaite timidement qu’il ait un jour quelque chose à dire qui lui tienne à cœur.
Mais ce qui a rappelé Jean Guérin à mon bon souvenir, c’est ce « Bulletin » publié dans la livraison d’août 1938 de la N.R.F. (premier numéro paru après les accords de Munich), et reproduit en annexe à la correspondance Leiris-Paulhan (Claire Paulhan, 2000) dont j’achève la lecture. C’est un pense-bête pour se rappeler qu’il serait grand temps d’acquérir le choix des chroniques de Guérin proposé en deux volumes aux éditions des Cendres.
LES ÉVÉNEMENTS
Leningrad. Du 21 au 28 septembre, interdiction de prier pour la paix (d’après l’Osservatore romano).
Munich. Par les accords de Munich, la paix est sauvée. La paix dans ce qu’elle a de plus plat et de plus périssable.
Paris. Les tailleurs répandent le slogan : la paix nous donnant la joie de vivre, l’on s’habillera en clair cet hiver.
Paris. Il est question d’élever un monument à la Tchéco-Slovaquie martyre. L’on peut douter si les Tchèques attendaient de nous tant de prix et de statues.
Leipzig. L’une des nouvelles rues de Leipzig s’appelle Rue des Sudètes. Une autre Rue de la Sarre. Une autre encore Rue d’Alsace.
Berlin. Tout Israélite, porteur d’un prénom aryen, s’appellera dorénavant Israël, ou Sarah.LES LIVRES
E. LUDWIG : la Nouvelle Sainte-Alliance (N.R.F.). — C’est l’alliance que formeraient les trois démocraties de l’Angleterre, de la France et des États-Unis. M. Ludwig nous assure qu’elle empêcherait à jamais la guerre. Peut-être.SPECTACLES
AU THÉÂTRE SAINT-GEORGES : Duo, de Paul Géraldy. — Du roman manqué mais « nature » de Mme Colette, Paul Géraldy a tiré trois actes brillants, en trompe-l’œil. C’est un civet transformé en soufflé.
1. En fait, il semble que ce soit plus compliqué et que jusqu’à 1953, le pseudonyme ait servi parfois à d’autres auteurs. Quoi qu’il en soit, les extraits proposés ci-dessus portent incontestablement la griffe (c’est le cas de le dire) de Paulhan.