Typo des villes (3)


Rue des Gobelins, Paris.

J’ai un faible pour ces enseignes en relief. Les boutiques poussiéreuses qu’elles surmontent sont le plus souvent fermées ou désertes. En se dévissant le cou, on aperçoit parfois le patron dans son arrière-boutique ; mais jamais un client. On se demande par quel mystère elles survivent.


mardi 6 avril 2010 | Typomanie | Aucun commentaire


Ce qu’ils lisent

Paris (suite)
25 mars
— À Pasteur, direction Étoile, une dame en imper de privé, apostée tout au bord du quai (décidément, c’est une manie), lit la Conspiration de Paul Nizan. Assis dans la position du penseur de Rodin, un quadragénaire est plongé dans les romans de Walter Scott, dans l’édition de la Pléiade. Le volume est ouvert sur son genou.
— Gare Saint-Lazare, une jeune femme en manteau d’esquimau a elle aussi adopté la pose du penseur de Rodin pour lire les Femmes du braconnier de Claude Pujade-Renaud.
— À Miromesnil, direction Mairie de Montreuil, deux jeunes filles discutent vivement au bout du quai. La brunette en bleu agite un exemplaire de Syngué Sabour d’Atiq Rahimi sous le nez de sa copine.
— À Chaussée d’Antin, direction Mairie d’Ivry, une jeune femme surgit sur le quai, qui lit en marchant le Lys dans la vallée de Balzac. Une ado tout en noir a ouvert le Gang des mégères inapprivoisées de Tom Sharpe.
— Dans le wagon, une dame plongée dans un roman de Christian Jacq, et deux autres lectrices en vis-à-vis, dont une quinquagénaire permanentée, l’air très pincé, lisant un volume du Séminaire de Lacan.
— Sur le quai des Gobelins, une femme en veston cintré sur jeans pattes d’eph’ lit le Septième Voile de Juan-Manuel de Prada. Elle monte dans un wagon où se trouve une lectrice de Shutter Island de Dennis Lehane — c’est une blonde menue vêtue de gris et de noir.
— Métro Place d’Italie, un homme en veste de cuir, au crâne entièrement rasé à l’exception d’une longue queue de cheval, s’absorbe dans le Tailleur de pierre de Camilla Läckberg. Plus loin, un jeune homme a le nez dans l’Espace de la révélation d’Alastair Reynolds. Une demi-douzaine d’autres lecteurs des deux sexes sur le quai bondé.
— À Pasteur, direction Mairie d’Issy, paraît une autre lectrice de Shutter Island — cheveux châtain ondulés, manteau olive sur pantalon noir.
— Dans le wagon, une dame tout en noir lisant la Nostalgie de l’ange d’Alice Sebold. Un trentenaire déplumé au nez pointu vêtu d’un pull violet s’initie à la Tactique générale de l’armée de terre (préface du général de corps d’armée Antoine Lecerf).
— À Vaugirard, le croiriez-vous ? monte une troisième lectrice de Dennis Lehane. Cheveux cendrés, long manteau vert sur jupe grise, elle ne lit pas Shutter Island mais Prières pour la pluie.
— Et nous voici porte de Versailles, à deux pas du Salon du livre. Deux lectrices sont adossées à deux lampadaires distants de quelques mètres. Le manteau rouge lit Spin de Robert Charles Wilson ; le manteau noir, Trinités de Nick Tosches.

26 mars
— Dans un wagon de métro encore, mais sur quelle ligne ? Mes notes sont illisibles. En tout cas, il y avait une femme en noir un peu sorcière — cheveux aile de corbeau, fard turquoise aux paupières — lisant Maléfices de Maxime Chattam. En face d’elle, un jeune homme en veste à carreaux s’absorbant dans le Règne de la quantité et les signes du temps de René Guénon. Et plus loin, assis sur un strapontin, un type rougeaud et mal réveillé lisant le Petit Saint de Simenon. Enfin, sur le quai d’une station, une jeune femme tenant en main la Clinique du docteur H de Mary Higgins Clark.

29 mars
— Métro Sèvres-Babylone, direction Gare d’Austerlitz, une grande blonde assise est plongée dans D’autres vies que la mienne d’Emmanuel Carrère.
— Dans le wagon, un monsieur ressemblant à Guy Vaes avec un nez aquilin savoure un dialogue de Platon dans un vieux fascicule jauni. Debout, une nouvelle lectrice, rousse, de la Nostalgie de l’ange, et une quadragénaire lisant Chaleur et Poussière de Ruth Prawer Jhabvala.

 

Beaucoup, beaucoup de lecteurs (et surtout de lectrices, comme toujours) dans la rue et les transports en commun ce printemps à Paris. J’en ai loupé une bonne trentaine, trop loin ou s’obstinant à dissimuler le titre de leur livre.


lundi 5 avril 2010 | Ce qu'ils lisent | Aucun commentaire


Ce qu’ils lisent

24 mars
Liège
— Sur un strapontin du 4, une dame en veste et bottes de cuir — genre Fifi Brindacier à cinquante ans — lit une prière dans son missel : « Le Seigneur est mon berger… » Elle papote ensuite avec une copine montée à l’arrêt suivant.
Dans le Thalys Liège-Paris
— Une Allemande referme Quand la Chine s’éveillera d’Alain Peyrefitte dans une édition Club à l’improbable jaquette orange et citron.
— Une dame cherchant sa place tient en main Firmin : autobiographie d’un grignoteur de livres de Sam Savage.
— Deux lectrices de guides touristiques.
— Une trentenaire ahurie et bouche bée écarquille les yeux sur Practical Psychic Self-Defense. Elle a l’air d’en avoir bien besoin.
— Derrière elle, une femme en pull rayé se délecte d’un album de Spirou et Fantasio, période Franquin au vu des planches.
— Une autre dame lit Métronome de Lorant Deutsch.
— Sur la tablette d’une jeune femme, Revolutionary Road de Richard Yates.
— Un élégant monsieur aux cheveux blancs lit le Passage de l’Aulne de Philippe Le Guillou.
— Une autre femme cherche le Bonheur, désespérément dans la prose d’André Comte-Sponville.
— À l’arrivée, une petite dame franchit l’allée en tenant en main Alain Decaux raconte.
Paris
— Ligne 7, direction Mairie d’Ivry. La lectrice d’un 10/18 quitte son strapontin pour descendre à Censier-Daubenton. Une jeune blonde est plongée dans une édition de poche très fatiguée de Midnight in the Garden of Good and Evil de John Berendt.
— Sur un banc public de la rue des Gobelins, près de la place d’Italie, un jeune dandy de notre temps (pose nonchalante, blouson blanc, lunettes fumées et barbe de trois jours) lit le Manuel du guerrier de la lumière de Paulo Coelho.
— Métro Place d’Italie, direction Étoile. Une jeune femme assise lit Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi de Mathias Malzieu. Debout un peu plus loin, une femme tient en main trois 10/18 attachés par un élastique. Elle parcourt la quatrième de couverture du volume du dessus. C’est un roman de Haruki Murakami.
De la rame qui s’arrête à quai, descend une jeune brune parlant à son téléphone portable tout en arborant l’Effort pour rendre l’autre fou de Harold Searles. C’est peut-être une démonstration en acte.
— Métro Pasteur, direction Mairie d’Issy. Une jeune femme se tenant dangereusement au bord du quai lit Monnayé, un volume des Annales du disque-monde de Terry Pratchett. Passe une petite blonde tenant un gros Ken Follett, les Piliers de la Terre.
— Dans la rame, direction Mairie d’Issy, un grand quadra tout frisé, tout en bleu, s’initie avec William Buhlman à The Secret of the Soul: Using Out-Of-Body Experiences to Understand Our True Nature.
— Métro Porte de Versailles. Il faut intenter un procès au coiffeur de la jeune femme qui lit l’Attrape-cœurs de Salinger.
— Dans la rame qui roule en direction de Porte de la Chapelle, deux lectrices en vis-à-vis. La première est si absorbée par la biographie de Cléopâtre qu’elle manque de rater sa station. La deuxième lit un pavé non identifié.
— Métro Pasteur. Tout au bord du quai (encore une), une brune menue chaussée de bottes en daim sur des collants, jupe courte et bague au pouce. Elle lit un polar d’Arnaldur Indridason. De l’escalier surgit une femme altière tenant en main une pièce de Brecht publiée chez L’Arche.
— Dans le wagon, direction Nation, une dame rousse tente de lire La fin est mon commencement de Tiziano Terzani en pestant contre les tressautements de la rame qui la projettent sur ses voisins. Assise un peu plus loin, une ample blonde aux bijoux clinquants, au maquillage outré, ouvre Je le ferai pour toi de Thierry Cohen. Face à elle, une brune plongée dans un roman paru chez Actes Sud. Deux autres lectrices et un lecteur dans le wagon bondé.


dimanche 4 avril 2010 | Ce qu'ils lisent | 3 commentaires


Chambres


Ce riant décor orangé ne doit pas faire illusion. Au vu du papier peint,
des corridors lugubres et des borborygmes nocturnes de la tuyauterie,
il ne fait aucun doute qu’on séjourne dans l’hôtel de Barton Fink.


Paris, Hôtel Bellevue et du Chariot d’or, mars 2010.


samedi 3 avril 2010 | Chambres | 3 commentaires


Chambres


Chambre escamotable, Paris, boulevard Arago, mars 2010.


vendredi 2 avril 2010 | Chambres | Aucun commentaire


La poésie ce matin (5)

un matin dans cette immobilité
qui regarde venir
la lumière,
qui regarde cela de la lumière qui est venant
et qui vient, sans cesse, qui jamais ne se retire
qui continue à venir bien au-delà de nous,
bien au-delà de nos corps
qui n’existent qu’à être traversés,
on pense à ce lieu de nous qu’on ne sait pas rejoindre,
on pense à ce lieu
de nous où habiter a lieu, où habiter a lieu comme
hors de nous
et jours hors de nous,
commencement de jour hors de nous avec moutons
posés sur l’herbe
et éclairage public
la nuit n’existe pas, c’est la peur qui existe
la peur la perforation, et la lumière
qui ne cesse de vieillir

Véronique Daine, R. B.
L’Herbe qui tremble, 2010.


mardi 30 mars 2010 | La poésie ce matin | Aucun commentaire


Chambres mystères

J’ignore à qui je dois cet envoi qu’aucun mot n’accompagnait. Il s’agit d’un somptueux portfolio grand format (28,5 x 42 cm), réunissant trente-neuf photographies de chambres en noir et blanc, prises par autant de photographes d’Europe et d’Amérique. Grande variété de décors (du plus bressonien au plus extravagant) et de points de vue. Les uns privilégient le plan d’ensemble et les autres le détail singulier. Certains optent pour le pittoresque ou la saisie d’une ambiance, tandis que d’autres tendent vers l’abstraction (la photo du Suédois Knotan ressemble presque à un Rothko). Tantôt l’on traite l’espace en à-plats et tantôt l’on travaille les textures (plis et replis des draps chiffonnés au petit matin). Dans tous les cas il se confirme qu’il y a quelque chose de magique dans une photo de chambre, comme si l’intimité du lieu se redoublait de l’intimité de notre rapport à la photographie.

Et donc, aucune idée de la personne qui m’a fait parvenir ce superbe cadeau. Mais qu’elle en soit chaleureusement remerciée.


Nofound (bedroom). Rennes, Kaugummi Books, 2009. Quatre cents exemplaires numérotés.


mardi 23 mars 2010 | Chambres | 4 commentaires