La poésie ce matin (11)

venir scander le jour est un règne d’attente, venir sonner les heures un décompte sans fin, espoir et distraction où le hasard fait mouche, la chute d’une étoile, le verbe qui prend forme, mais le refrain demeure

petits ou grands
corbeaux corneilles
traversent l’œil
plombent le temps

les oiseaux s’en reviennent, l’arbre trace l’escale, la phrase son phrasé, les mots couleur de feuilles s’en vont parler au vent, la terre ouvre ses champs aux accents d’un éveil : un morceau de ciel clair

le temps c’est soi-même on le sait

Philippe Jones, Parenthèses.
Le Cormier, 2013


samedi 27 avril 2013 | La poésie ce matin | Aucun commentaire


Ritournelles


On a reçu (merci, A.-M. B.) cette belle plaquette de onze Chansons de Pierre Peuchmaurd, qu’accompagne une peinture de Véronique Gentil, reproduite en couleurs en double page centrale et en noir sur papier calque sur les pages de garde. Il s’agit d’une suite de onze poèmes, composés chacun de trois strophes de quatre vers quadrisyllabiques. Peuchmaurd y revisite son bestiaire tout en s’adonnant au plaisir faussement simple de la ritournelle — l’ensemble n’est pas pour rien dédié au merveilleux Max Elskamp, chez qui le travail d’orfèvre sur la désarticulation du vers se mêlait au rythme des refrains populaires. Si la poésie, pour Peuchmaurd, était de l’ordre de la fulgurance — le poème, disait-il, est « la traduction simultanée d’une espèce d’apparition […] Il doit laisser une vibration dans l’air », et l’on pourrait en dire autant de ses aphorismes —, sa saisie n’excluait nullement le goût des jeux de langage : refrains et reprises, assonances et paronomases, qui sont ici particulièrement sollicités.

Et puis voici
Les sangliers
Dans leur dentelle
Rose et buée

Les sangliers
Serrés de brume
La nuit vermeille
Des sangliers

Et puis voici
Les armes blanches
L’éternité
Des sangliers

 

Pierre PEUCHMARD, Chansons. La Morale merveilleuse & Pierre Ménard, 2013. Deux cents exemplaires hors commerce.


vendredi 26 avril 2013 | Au fil des pages | Aucun commentaire


Les Français croient aux mots

Le charme de l’Autre Journal où s’épanouissait, dominatrice, Marguerite Duras, c’est qu’à la différence de nombreux confrères on le sentait respirer. Les défauts y étaient si évidents qu’ils vous donnaient l’envie de mettre la main à la pâte. Ils sont rares les journaux où l’on souhaiterait intervenir, prendre la parole. En général, ils sont ou tellement bêtes ou tellement bien faits que l’on voit tout de suite que l’on est de trop. […]
Le temps de trouver un arrangement, l’Autre Journal cessa de paraître. Il n’avait rien d’une chaîne de télévision, ce n’était pas Radio Monte-Carlo, même pas un quotidien. À peine un hebdomadaire. Il ne se trouva donc aucun financier sérieux pour s’intéresser à lui puisqu’il ne risquait pas d’être un gouffre. Le monde du capital a son orgueil : il ne va pas s’asseoir à une table de chemin de fer où la mise initiale est de cinquante francs. Ces choses-là risquent de s’apprendre, et c’est ainsi que, tout riche que l’on est, l’on perd sa réputation.

Bernard Frank
Le Journal littéraire no 1, septembre-novembre 1987.

J’ai vendu la mèche quand j’avais vingt ans : « Je retrouvais cette idée qui m’avait si fort effrayé que l’histoire de la littérature, même la plus rudimentaire, parlait souvent plus à une imagination bien dressée que les chefs-d’œuvre dont elle avait le souci. » Autrement dit, les chefs-d’œuvre me faisaient moins d’effet que leur bande-annonce, leur notice. Et partout pareil. Dans les restaurants, on est plus fasciné par les cartes, la richesse des menus que par ce qui est dans l’assiette. Et ces restaurants, nous n’y allons le plus souvent que par le commentaire que nous avons lu dans les guides. Ce sont les mots du chroniqueur qui nous ont fait de l’effet. Nous nous délectons du verbal, nous mangeons de la rêverie. Les médicaments, longtemps, nous ont fait de l’effet par leur notice, leur mode d’emploi. La France, on le sait, va mourir sous le poids de ses médicaments, de sa Sécurité sociale. Et pourquoi les Français sont-ils si dépensiers en drogue ? C’est qu’ils croient aux mots.

Égoïste no 13, tome 1, 1996.

Chroniques reprises dans Rêveries, Le Dilettante, 2000.


vendredi 12 avril 2013 | Grappilles | Aucun commentaire


Chambres


Paris, rue Carducci.


mardi 12 mars 2013 | Chambres | 1 commentaire


L’herbe tremble aux Buttes Chaumont

Programme complet de la journée ici (PDF) ou (site de L’Herbe qui tremble).


mardi 5 mars 2013 | Actuelles | Aucun commentaire


L’absinthe suffit

La société des Rougon-Maquart, en effet, offrait bien des raisons de désespérer aux pessimistes ; ainsi la bohème Fin de Siècle fut-elle plus amère, plus dramatique que la bohème romantique. Le choix des boissons souligne assez bien la différence : les Décadents furent des buveurs d’absinthe, la « fée verte », placée sous le signe de l’eau et du froid :

« Par son ivresse verte aux lacis de lianes
Bois l’absinthe éployant des forêts et des mers. »
Iwan Gilkin

La génération de 1830, au contraire, buvait du punch. Un peu plus tard l’opium avait eu des adeptes, souvent sous forme de laudanum, avec Nerval ou Rossetti. Les drogues firent leur apparition vers 1880 ; un temps la morphine fut à la mode, puis l’éther qui rend fou assez rapidement, mais, le plus souvent, l’absinthe suffisait.

Philippe Jullian, Esthètes et Magiciens. L’Art fin de siècle.
Perrin, 1969.


dimanche 3 mars 2013 | Le coin du Captain Cap | 1 commentaire


Démocrite et son rire

Nul homme encore n’a marché. Apprenons au moins à rire.

Tous les lecteurs le savent : nos bibliothèques forment des labyrinthes à notre image. Ce ne sont point de froids conservatoires mais des organismes vivants, à l’instar des auteurs qui la peuplent et avec lesquels se noue un dialogue imaginaire à peu près continu. Il suffit de fermer les yeux pour se retrouver conversant avec Pétrone ou Thomas De Quincey, déjeunant avec Horace ou déambulant de nuit dans Paris avec Nerval. Né d’un tel commerce, le Rire de Démocrite, après Sous un ciel dévoyé (Le Cormier) et Savoir de guerre (William Blake & Co), est un livre de lecteur autant que d’écrivain – c’est en vérité la même chose. Cent courts textes le composent, dans un ordre savamment médité. Ils tiennent tour à tour – ou tout à la fois – de l’aphorisme, du petit traité, du poème en prose, de l’exercice d’admiration, de la biographie brève chère à Borges et Marcel Schwob, et de la bombe à retardement – car ce livre de ferveur est aussi un livre de combat. Contre le vague et les idées courtes de l’époque, Christophe Van Rossom met en pratique une morale du style qui se refuse à séparer la poésie et l’essai, le savoir et l’ivresse, la passion et l’intelligence, la lucidité altière, la jubilation et le plaisir aristocratique de déplaire cher à Baudelaire.

Christophe Van Rossom est un homme de conversation. Passer quelques heures en sa compagnie, c’est s’embarquer dans un périple mémorable où l’on circule de Gorgias à la musique baroque, de Sade à Chesterton et des gnostiques aux évangiles apocryphes en passant par les films de Cronenberg et de David Fincher, avec quelques excursus du côté des meilleurs purs malts et de la cuisson exacte du poisson – puisque aussi bien ce qu’on nomme faute de mieux la culture est inséparable de ce qu’on nomme faute de mieux la vie, sinon à quoi bon lire et se cultiver ? J’aurai donc grand plaisir à m’entretenir avec lui le samedi 2 mars à midi à la librairie Quartiers latins (14 place des Martyrs, 1000 Bruxelles).

Sur Savoir de guerre, voir l’excellent article de Laurent Albarracin.
Le blog de Christophe Van Rossom.

 

LE RIRE DE DÉMOCRITE

Juvénal écrit qu’un rire perpétuel secouait les poumons de Démocrite. Plus loin, il ajoute que Démocrite trouvait matière à rire à chaque rencontre. À propos de Démocrite, Juvénal précise et développe : Sa sagesse démontre que de grands hommes, capables de donner de beaux exemples, peuvent naître dans la patrie des moutons et sous un air épais. Il riait des soucis et aussi des joies du vulgaire, parfois de ses larmes mêmes. Quand la Fortune le menaçait, il l’envoyait se faire pendre ailleurs et la narguait du doigt.
J’évoque une légende.
Peu m’importe que le Démocrite que je dis n’est pas celui dont les poumons se sont emplis de l’air d’Abdère au Ve siècle avant le fils du charpentier. Peu me chaut que le père de l’atomisme n’ait pas ri, ni posé les actes que suggère le pseudo-Hippocrate et qu’a rappelés si superbement Jean de La Fontaine. De lui (ou de sa légende), je retiens l’absence souveraine d’illusion, la volonté de discerner, la capacité à bâtir un savoir, une pensée et une éthique praticables, mais aussi sa théorie du hasard, son relativisme sensualiste, le concept sublime enfin d’équilibre dynamique.
De l’hyperphilosophe, je note aussi cette recommandation : N’accepte aucun plaisir sauf s’il te convient, et cette conviction que tout homme a le pouvoir de se recréer, intégralement.

Christophe Van Rossom

Le Rire de Démocrite est publié à La Lettre volée.


mercredi 27 février 2013 | Actuelles | Aucun commentaire