Didier Blonde est l’auteur d’un essai intitulé les Voleurs de visages. Sur quelques cas troublants de changements d’identité : Rocambole, Arsène Lupin, Fantômas et Cie. Il a également publié plusieurs livres sur des figures négligées du cinéma muet. Ces deux motifs s’entrelacent dans Faire le mort.
C’est un roman-enquête à la Modiano mêlant la réalité historique et l’affabulation, plein de recherches dans des annuaires obsolètes et des collections de revues jaunies, de déambulations dans un Paris fantôme où la ville d’hier continue de hanter la ville d’aujourd’hui. Passionné de cinéma muet 1, le narrateur fréquente assidument la Cinémathèque. Il y met en œuvre, comme spectateur, une pratique méthodique de l’attention flottante. Indifférent aux intrigues, ce sont les détails insignifiants, les arrière-plans qui le retiennent et stimulent sa rêverie : le geste d’une figurante, le trajet silencieux d’une voiture, un accessoire à peine visible au fond du décor, un jardin aperçu par une fenêtre – tout ce que la caméra enregistre à son insu sans lui assigner de fonction narrative précise et qui pourtant raconte en secret une autre histoire.
C’est ainsi qu’un soir, revoyant pour la énième fois le Fantômas de Feuillade, le narrateur est frappé par une anomalie. Les yeux, perçant la cagoule du génie du crime, ne sont pas ceux de son interprète René Navarre. Alors, à qui appartiennent-ils ? Navarre, absent du plateau le jour où l’on a tourné la scène, s’est-il fait remplacer par une doublure ? Et voilà notre narrateur désœuvré lancé sur la piste ténue de ce figurant à identités multiples, qui s’appelait peut-être Sudor ou peut-être Louis Manekine.
On n’en dévoilera pas davantage. On ajoutera seulement que ce narrateur sans nom est lui-même un caméléon. Employé comme nègre dans une maison d’édition, il se moule dans la personnalité des autres, en prêtant sa plume à des célébrités de troisième ordre dont il est chargé de rédiger les mémoires. Mis au chômage technique au début du roman, sans amitiés ni relations connues, il se dépouille progressivement de son peu d’épaisseur sociale. Plus il s’absorbe dans l’élucidation des énigmes du passé et plus il se vide de sa substance – à l’image de son appartement qui se déleste peu à peu des livres qu’il revend pour assurer sa subsistance.
1 Didier Blonde suggère que cette passion a partie liée avec la nostalgie de l’enfance et la figure d’un père évanescent. C’est finement esquissé, sans s’appesantir, sans psychanalyse de comptoir.
Didier BLONDE, Faire le mort, Gallimard, 2001, 132 pages.