Chambres


Amsterdam, Hôtel V

Les charmantes réceptionnistes de l’Hôtel V n’ont peut-être pas de cactus classeur à l’instar de Gaston Lagaffe, mais elles disposent d’un arbre à clés qui n’a rien à lui envier.


vendredi 28 décembre 2012 | Chambres | 1 commentaire


Nouvelles de Babel

C’est toujours fête quand on tombe chez un bouquiniste sur des volumes de La Bibliothèque de Babel, publiée entre 1975 et 1981 par Franco Maria Ricci. Choix des textes et préfaces de Borges, format agréable en main, belle typo en Bodoni sur vergé, douze volumes parus en français sur les trente et quelques de la collection originale. Un obscur fatum semble peser sur cette bibliothèque, une nouvelle tentative d’édition intégrale chez Panama ayant tourné court il y a trois ans pour cause de faillite de l’éditeur.

Chaque volume dispense suivant les cas le plaisir des retrouvailles ou de la découverte. J’ai relu avec délectation les trois nouvelles d’Henry James réunies dans les Amis des amis. « Owen Wingrave » est, des trois, la plus conforme au canon du genre ; les deux autres, la nouvelle-titre et « la Vie privée » comptent parmi mes préférées de James (j’ai souvent fantasmé le film que Raoul Ruiz aurait pu tirer de « la Vie privée»). Dans tous les cas, il est fascinant de voir comment James transmute des thèmes classiques de la littérature fantastique (la chambre hantée, le dédoublement, la communication avec les morts) en les faisant passer dans son alambic personnel : maîtrise du récit indirect, sinuosités d’une analyse psychologique poussée jusqu’à un délicieux vertige — ou l’art de peser des œufs de mouche dans des toiles d’araignée —, ellipse de certains rebondissements essentiels conduisant à suggérer la présence d’un secret qui nous file entre les doigts au moment où l’on croit s’en saisir. Ce qui fait la singularité de James nouvelliste fantastique, c’est que ses arguments de départ ne ressortissent pas à l’étrange ou à l’insolite mais — tout comme dans ses nouvelles disons réalistes ou psychologiques — à la peinture de mœurs, à l’observation sociale empreinte d’une ironie impalpable. Deux personnes, que leurs amis communs cherchent à présenter, ne parviennent jamais à se rencontrer en raison d’une succession de contretemps et de rendez-vous manqués. Un grand mondain ne vivant que dans et par le regard d’autrui n’est en vérité qu’une coquille vide. Le moi social n’est pas le moi réel de l’écrivain. Il suffit à James d’exagérer légèrement ces trois propositions et d’en tirer toutes les conséquences pour que la satire sociale glisse insensiblement dans le fantastique, comme si celui-ci en était le prolongement naturel, le revers caché d’inquiétante étrangeté. Du grand art.

Côté découverte, voici les nouvelles de Giovanni Papini dont Borges, dans sa préface, signale l’influence souterraine sur son œuvre. Il en lut quelques-unes, vers onze ou douze ans, dans une mauvaise traduction espagnole, puis les oublia. Et c’est beaucoup plus tard que, les relisant, il s’aperçut à quel point elles l’avaient marqué à son insu. Conclusion très borgésienne de cette anecdote dont il n’y a pas lieu a priori de mettre en doute la véracité : « Sans m’en aviser, je me comportais de la manière la plus sagace : oublier peut bien être une forme profonde de la mémoire. »

Il est aisé d’apercevoir ce qui séduisit Borges dans ces nouvelles qui frappent en premier lieu par leur concision narrative. Le récit, chez Papini, est délesté de tous ses accessoires — la mise en place, le décor, la caractérisation y sont réduits au minimum vital —, au profit de l’essentiel, la mise en jeu d’une Idée déterminée comme un problème ; ce qui ne l’empêche pas, mystérieusement, de distiller un climat d’étrangeté ou d’angoisse. Par ailleurs, les parentés thématiques entre les deux auteurs sont flagrantes : vertige du temps et de l’identité, fatigue d’être soi ou, au contraire, terreur de n’être plus personne — à ceci près que Borges aborde ces thèmes avec le détachement de la pensée spéculative, tandis que Papini leur apporte quelque chose de tourmenté (dont témoigne notamment sa hantise du suicide), sinon de fiévreux, qui le rapprocherait de Poe. La traduction de notre cher Nino Frank est d’une belle fluidité. On découvre à l’instant que L’Âge d’homme a publié, sous le titre de Concerto fantastique, l’intégralité des nouvelles de Papini dans une nouvelle traduction de Gérard Genot. Hop, sur la liste.


lundi 24 décembre 2012 | Au fil des pages | Aucun commentaire


Dimanche en jazz (7) : Gil Mellé

[audio:http://home.scarlet.be/~th046862/zk/gm01.mp3]
Quadrama
[audio:http://home.scarlet.be/~th046862/zk/gm02.mp3]
Iron Works
[audio:http://home.scarlet.be/~th046862/zk/gm03.mp3]
Walter Ego

Gil Mellé Quartet
Gil Mellé (sb) et Joe Cinderella (g), avec Billy Philips (cb) et Ed Thigpen (bt) (Iron Works, 1er juin 1956) ; avec George Duvivier (cb) et Shadow Wilson (bt) (Quadrama et Walter Ego, 26 avril 1957).

On replonge ces temps-ci avec un vif plaisir dans la musique de cet intrigant saxophoniste, arrangeur et compositeur. Gil Mellé citait Bartok, Varèse et Herbie Nichols parmi ses principales influences. On suppose qu’il avait aussi prêté une oreille attentive au nonet de Miles Davis. Il compte parmi ces musiciens pour happy fews qui inventèrent dans les années 1950 un jazz de chambre aux combinaisons instrumentales inhabituelles (c’est l’époque où le tuba et le cor français font leur entrée dans les petites formations), nourri de musique « savante », de contrepoint et de polytonalité. Outre leur recherche de couleurs et de textures musicales inédites, les compositions ciselées de Mellé témoignent  d’un sens de la miniature peut-être développé au contact de la musique d’Ellington, dont il avait commencé à collectionner les disques à un âge où l’on songe plutôt à jouer aux billes.

Ce fut de fait un enfant précoce. Né en 1931 dans le New Jersey, il s’installe dès l’adolescence à Greenwich Village, vit la vie de bohème, s’adonne à la peinture et à la sculpture, et commence à se produire à l’âge de seize ans dans les clubs et cabarets new-yorkais. Il y est repéré par Alfred Lion, l’un des deux patrons de Blue Note, qui lui fait enregistrer son premier disque à dix-neuf ans. Au-delà de sa contribution musicale, Mellé jouera un rôle crucial dans l’histoire de Blue Note : versé dans les arts visuels, il participe à la création de l’identité graphique très forte du label dont il conçoit, avec John Hermansader et Paul Bacon, les pochettes des premiers 33 tours ; et c’est lui qui présentera à Alfred Lion l’ingénieur du son Rudy Van Gelder — la suite est connue. Ironiquement, c’est pour Prestige qu’il enregistrera quelque temps plus tard ses meilleurs disques, Primitive Modern, Quadrama et Gil’s Guests, avant d’entamer une seconde et féconde carrière à Hollywood où il deviendra un pionnier de l’emploi des sons électroniques dans la musique de film et de télévision (cf. notamment la B.O. du Mystère Andromède de Robert Wise).


lundi 3 décembre 2012 | Dans les oneilles | 3 commentaires


Queneau et Gertrude Stein

Dans les années 1950, Queneau diligenta une enquête auprès de deux cents écrivains en leur demandant d’établir une liste de cent ouvrages pouvant former la bibliothèque idéale. Sur les deux cents destinataires, une quarantaine répondit de façon positive, en trichant parfois (certaines listes comptent deux cents titres) ou en assortissant leur réponse d’un commentaire sur les limites bien connues de cet exercice (ainsi Caillois et d’autres) ; ou encore en s’en tirant par une pirouette (réponse de Salacrou : « Le Littré et le Guide Michelin. »). Une quarantaine d’autres répondit de façon négative, et leur refus n’est pas moins instructif. Les uns en développent longuement les raisons (Audiberti, Bachelard), les autres le motivent de manière lapidaire. Ainsi Paulhan, assez drôle :

Mais je ne sais pas. Comment voulez-vous que j’y arrive ? Puis je ne crois pas trop qu’il y ait des ouvrages essentiels. Je pense qu’il y a des pensées essentielles auxquelles on finit en général par arriver, à propos de n’importe quels ouvrages — ou sans ouvrages du tout.
Il m’y faudrait bien deux ou trois ans de travail.

Je furète de temps à autre dans ces listes. Le consensus attendu qui se dégage sur certains noms (Homère, Rabelais, Shakespeare, Proust, etc.) est moins intéressant que les affinités électives qui s’y révèlent. Ainsi, si l’on n’est pas surpris de voir Leiris mentionner tous les livres de Roussel, il est plus inattendu de voir Queneau citer six Stendhal et quatre Gertrude Stein. Cette connexion Queneau-Stein m’a longtemps intrigué. Et puis, tombant l’autre jour sur cette lecture, par Gertrude Stein, de son texte If I Told Him : A Completed Portrait of Picasso, fondé sur un jeu hypnotisant de reprises et de permutations, j’ai compris ce qui pouvait séduire là le poète de Si tu t’imagines.


mercredi 28 novembre 2012 | Grappilles | Aucun commentaire


Faut pas employer des mots comme ça

S’il y a une chose qui exaspère Léautaud, c’est bien le verbiage, l’emphase, les à-peu-près, les grands mots creux. C’est toujours réjouissant de l’entendre s’énerver à ce sujet au micro de Robert Mallet et l’on se dit que s’il était invité aujourd’hui à la radio, il passerait son temps à enguirlander ses interlocuteurs : Léautaud face à l’arrogance branchée de Pascale Clark ou au bredouillis de Marc Voinchet, on aurait rêvé d’entendre ça.

[audio:http://home.scarlet.be/~th046862/zk/pl.mp3]

Les entretiens de Léautaud et Robert Mallet sont édités en dix CD chez Frémeaux & Associés. Ils sont disponibles à la Médiathèque. Transcription publiée chez Gallimard et rééditée au Mercure de France.

 

Merci à OS.


samedi 17 novembre 2012 | Grappilles | 1 commentaire


Ceux qui lisent (Londres)


Un lecteur de Mishima.


Une lectrice de Fifty Shades of Grey, qui en dissimule soigneusement
la couverture à ses covoyageurs.




Typo des villes (16)

Il faut tournicoter un bon moment dans un quartier lugubre avant de trouver l’entrée du Barbican Centre, gigantesque complexe culturel dont l’architecture est aussi riante que Louvain-la-Neuve et les tours de Droixhe réunies. Rien ne prépare à la surprise qui nous attend à l’intérieur. Sitôt franchies les portes, on se croit téléporté il y a trente-cinq ans : déco orange marron, éclairage multicolore et Futura all over the place.





 


Police dessinée dans les années 1920 par Paul Renner (1878-1956),
ami de notre héros Jan Tschichold.


dimanche 4 novembre 2012 | Choses anglaises,Typomanie | Aucun commentaire