Bibliomanie
Ainsi, j’ai rencontré beaucoup de maniaques, mais au moins un maniaque superbe, c’est Henri Parisot [1], le fétichiste de l’édition originale. Je l’ai vu acheter six fois de suite le même livre, et cinq fois le rapporter au libraire en disant, à la manière de Fernand Raynaud : «Il y a là comme un défaut.» Lorsqu’il avait définitivement acquis son exemplaire original et irréprochable, il l’enveloppait dans un papier cellophane. Il ne le recouvrait pas, il l’emballait complètement. Il le plaçait dans sa bibliothèque, mais il ne pouvait jamais le consulter, puisqu’il était complètement emmailloté. Aussi, je crois qu’il a eu pendant longtemps deux bibliothèques identiques, une « ouverte », et une « fermée », puisque enfin il adore la lecture.
Éric Losfeld, Endetté comme une mûle. Belfond, 1979.
1. Traducteur de Lewis Carroll et fondateur de la collection « L’Âge d’or ».
Ingestion
La manie des listes, l’exemple d’un modèle illustre (Georges Perec [1]) et une interrogation enfantine – « quelle est donc la quantité d’aliments qu’on ingurgite en une année ? » – m’ont conduit en 2003 à noter systématiquement ce que j’avais mangé et bu tout au long de l’année.
L’exercice demande une certaine discipline. Dans les premières semaines de janvier, il m’arrivait fréquemment d’oublier de prendre note, et de devoir en conséquence reconstituer de tête, avec difficulté parfois, ce que j’avais mangé les trois jours précédents.
Rapidement, cependant, cela devint une habitude et presque une seconde nature. Au point, lorsque l’exercice prit fin, de me laisser une sensation de manque. Il m’arrivait ainsi de tourner en rond, après un repas, en proie à la certitude d’avoir oublié de faire quelque chose de très important. Peu à peu, cela m’est passé et j’ai repris, comme on dit, une vie normale.
Les curieux peuvent découvrir ici cet inventaire absurde et vaguement monstrueux.
1. L’Infra-ordinaire. Seuil, « Librairie du XXe siècle », 1989.