Bibliomanie

Ainsi, j’ai rencontré beaucoup de maniaques, mais au moins un maniaque superbe, c’est Henri Parisot [1], le fétichiste de l’édition originale. Je l’ai vu acheter six fois de suite le même livre, et cinq fois le rapporter au libraire en disant, à la manière de Fernand Raynaud : «Il y a là comme un défaut.» Lorsqu’il avait définitivement acquis son exemplaire original et irréprochable, il l’enveloppait dans un papier cellophane. Il ne le recouvrait pas, il l’emballait complètement. Il le plaçait dans sa bibliothèque, mais il ne pouvait jamais le consulter, puisqu’il était complètement emmailloté. Aussi, je crois qu’il a eu pendant longtemps deux bibliothèques identiques, une « ouverte », et une « fermée », puisque enfin il adore la lecture.

Éric Losfeld, Endetté comme une mûle. Belfond, 1979.

1. Traducteur de Lewis Carroll et fondateur de la collection « L’Âge d’or ».




Araignées et chauve-souris

« Je ne regrette ni les films que j’ai faits ni ceux que je n’ai pas faits. L’essentiel est de tourner : ce qu’on n’a pu mettre dans un film se retrouve dans un autre. Mon seul regret est de ne pas tourner assez. » (Alain Resnais, 1977.) Ce qui ne nous empêche pas, à la lumière de Marienbad et de Providence, de rêver aux nombreux projets que Resnais n’a pu mener à bien : Fantômas, Mandrake, Harry Dickson… Filmographie imaginaire qui a irrigué souterrainement, comme en un réseau de labyrinthes communicants, les films effectivement réalisés.

Ma rêverie est relancée ce matin par un entretien avec Stan Lee, quatre-vingt-trois ans, créateur de Spider-Man, Daredevil, Hulk et X-Men.

Stan Lee : De l’Europe, je connais surtout… Paris. Le reste, non, malheureusement. J’avais un bon ami en France, que je vois peu depuis quelques années : Alain Resnais. Quand je l’ai rencontré dans les années 1960, il voulait que j’écrive un scénario pour son premier film américain. Nous sommes devenus amis et il est souvent venu habiter chez nous […]

Saviez-vous qu’à une certaine époque, il voulait réaliser une adaptation de Conan le barbare ?
S.L. : C’est vrai ? Vous aurez peut-être du mal à le croire, mais j’aurais aimé qu’il réalise une adaptation de Spider-Man. Mais je n’avais aucun pouvoir dans le milieu du cinéma et je n’ai rien pu faire pour pousser ce projet.

Télé-Moustique no 4191, 24 mai 2006.


vendredi 26 mai 2006 | Grappilles | Aucun commentaire


Écriture à contrainte subie

Étudiant à Sciences-Po (et victime consentante du paternel : « fais tes études d’abord… »), j’y rencontre Michel Estève, directeur d’Études cinématographiques, qui me conseille d’envoyer un article à Positif. Lecteur assidu de Première et de Studio, je me procure un numéro de cette revue inconnue. Coup de foudre. Je décide d’écrire sur le nouveau film de David Lynch, Sailor et Lula. Un ami me prête un vieil ordinateur un peu susceptible qui n’accepte aucune correction : si je veux changer une phrase, je dois lui en proposer une autre de la même longueur, sous peine de voir s’effacer tout le reste ! Comme l’astronaute de 2001, j’ai rêvé de débrancher cet ordinateur trop susceptible, qui n’acceptait pas la moindre critique ! Ce premier article, techniquement le plus compliqué que j’aie jamais publié, fut écrit avec une pile de revues de mots croisés où je devais trouver des termes équivalents en sens et en longueur à ceux que je voulais changer.

Thomas Bourguignon, Positif no 500, octobre 2002.


mercredi 24 mai 2006 | Grappilles | Aucun commentaire


Comme un dimanche

Et, ces soirs où les humeurs noires le désolaient, il se couchait de bonne heure, traînant devant sa bibliothèque à la recherche d’un livre rentrant dans l’ordre des pensées qui l’agitaient. Il eût voulu en trouver un qui le consolât et renforçât en même temps son amertume, un qui contât des ennuis plus grands et de même nature pourtant que les siens, un qui le soulageât par comparaison. Bien entendu il n’en découvrait pas.

Joris-Karl Huysmans, En ménage.




Contrariété

Une chose attriste son existence : il n’a pas encore fini de lire les journaux du matin quand les journaux du soir paraissent.

Jean de Tinan, Aimienne.


lundi 3 avril 2006 | Grappilles | Aucun commentaire


Topographie

Chez lui, Queneau avait punaisé au mur un grand plan de Dublin sur lequel il avait reporté tous les déplacements des personnages d’Ulysse de Joyce (raconté hier par Maurice Nadeau à la librairie bruxelloise Quartiers latins).


dimanche 2 avril 2006 | Grappilles | Aucun commentaire


Gentilés

En 1988, le Robert entreprit de mettre à jour sa liste des adjectifs et noms communs correspondant aux noms propres de lieux – ce que les lexicographes appellent les gentilés : les habitants de Rambouillet sont des Rambolitains, ceux de Besançon, des Bisontins, etc.

On adressa donc aux communes de France une lettre circulaire invitant les édiles à indiquer quels étaient les « différents mots utilisés pour désigner les habitants de leur ville » et celui qui était « le plus couramment employé ». Réponse de la ville de Fameck (Moselle) :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

FAMECK, le 30 août 1988

VILLE DE FAMECK (Moselle)
Le Maire de Fameck
à Monsieur le Directeur
des DICTIONNAIRES LE ROBERT

Objet : Mise à jour de votre liste des noms communs et adjectifs correspondant aux noms propres de lieux.

En réponse à votre lettre du 5 août 1988, j’ai l’honneur de vous faire savoir que le nom le plus couramment utilisé pour désigner les habitants de notre Ville est celui « d’Administrés ».

Veuillez agréer [….]

Question : le maire de Fameck est-il un Fameuckon ?


lundi 20 mars 2006 | Grappilles | Aucun commentaire