L’imprévu
Un lapin ne nous effraie point ; mais le brusque départ d’un lapin inattendu peut nous mettre en fuite.
Ainsi en est-il de telle idée, qui nous émerveille, nous transporte, pour nous être soudaine, et devient, peu après – ce qu’elle est…
L’homme insoucieux, l’imprévoyant, est moins accablé et démonté par l’événement catastrophique que le prévoyant.
Pour l’imprévoyant, le minimum d’imprévu. – Quoi d’Imprévu pour qui n’a rien prévu ?
Les causes véritables sont souvent des faits ou des circonstances auxquels il serait SUPRÊMEMENT ABSURDE de songer a priori, tant ils sont hors du sujet, – hors de toute prévision.
Les causes à quoi l’on songe sont, au contraire, de celles qu’on trouve parce qu’on les a déjà trouvées. Rien n’est plus vain.
En y pensant un peu trop, on en viendrait à faire dépendre la probabilité d’une cause… de son imprévu.
Paul Valéry, Tel Quel.
Chapeau bas
19h45, place du 8-Mai-1945 à Saint-Denis, arrêt de bus, je porte un manteau en cuir noir et un chapeau d’homme gris. Je sens quelqu’un qui cherche à m’aborder. Je me retourne. Un jeune des banlieues sensibles, issu de je ne sais quelle génération de travailleurs d’Afrique du Nord. Avec capuche…
– Madame, je peux vous poser une question ?
– Bien sûr.
– Ça a quelle signification votre chapeau ?
– C’est pour faire joli.
– Mais non ! Ça a quelle signification votre chapeau ?
– ???…
– Vous êtes juive ou chrétienne ?
– ??? !!! Je suis athée.
– C’est quoi AT ?
– A-thée, c’est sans dieu…
Et je suis montée dans l’autobus.
Plus tard je suis allée au cinéma sans chapeau.
Brigitte Lesaffre (Saint-Denis)
Courrier des lecteurs du Monde, 11 mars 2006.
Le New Jersey fait l’unanimité
C’était un sacré paysage, en effet. Ce n’est pas tous les jours qu’on voit un paysage pareil, à moins de posséder soi-même un des derniers remorqueurs en activité dans le port de New York. D’un côté, Manhattan, étroit couloir encombré de stalagmites ayant perdu leur grotte et exposés à l’air libre sans qu’on sache pourquoi, formant un décor aussi excentrique que spectaculaire. Regardez un peu toutes ces fenêtres ! Y a-t-il vraiment des gens derrière chacune d’entre elles ? Vous voyez tous ces immeubles, mais vous ne voyez absolument personne et, pourtant, vous ne pensez qu’à des êtres humains, et à quel point ils doivent être nombreux pour qu’il existe sur terre un tel paysage.
Voilà pour Manhattan. De l’autre côté, c’est le New Jersey… voilà pour le New Jersey.
Donald Westlake, Histoire d’os. Rivages/Noir n° 347, 1996.
Ils avaient maintenant quitté la laideur du New Jersey, et traversaient les paysages à couper le souffle de la Virginie.
– C’est magnifique ! souffla Lucia.
– Le New Jersey est fait pour ça – apprécier la beauté de la Virginie, expliqua Cassidy.
John Crosby, Pas de quartier ! 10/18 n° 2747, 1996.
Deux excellents polars, soit dit en passant.

samedi 18 février 2006 |
Grappilles,
Rompols |
Commentaires fermés sur Le New Jersey fait l’unanimité
Trempe ta soupe
Au Moyen Âge, la soupe est la tranche de pain posée dans l’écuelle sur laquelle on verse le bouillon – d’où l’expression trempé comme une soupe (Le Monde).
Doublure radio
Pendant la guerre, la BBC a engagé un comédien qui imitait à la perfection la voix et les intonations de Churchill, pour prononcer ses discours à la radio. Le Premier ministre était souvent enroué, voire aphone (Le Monde).
Pour mémoire, le titre de cette nouvelle rubrique est emprunté à un excellent recueil de Patrick Mauriès (Paris, Seuil, 1989), qu’on peut encore trouver en librairie d’occasion.