8 Faces



Huit typographes, créateurs de caractères ou graphistes évoquent leur parcours, leur conception du métier, leurs pronostics sur ses développements futurs. En point d’orgue à l’entretien, chacun présente ses huit polices de caractères préférées, celles qu’il emporterait sur l’île déserte. Tel est le principe de la revue anglaise 8 Faces, fondée l’année dernière par Elliot Jay Stocks. Une manière simple et vivante de lever un coin du voile sur les arcanes et les débats en cours de la typographie contemporaine, avec ceux qui la font. Le niveau des échanges les rend propres à intéresser aussi bien les professionnels que les modestes typomanes amateurs.
Le premier numéro de 8 Faces, tiré à mille exemplaires et mis en vente sur internet durant l’été 2010, avait été épuisé en moins de deux heures (!), à la stupéfaction de son fondateur. Il n’est plus disponible qu’en PDF. Le deuxième numéro est paru en décembre 2010. Signe des temps, il y est beaucoup question de la typo sur le web, sujet qui paraît fort exciter tout ce petit monde.



Question



Quelqu’un serait-il en mesure d’identifier cette police de caractères, assez en vogue dans les années 1970, notamment sur les couvertures de livres de poche anglais ? Merci d’avance.
P.-S. : scénarisé par Arthur Hopcraft, Tinker Tailor Soldier Spy (1979) est l’adaptation aussi intelligemment fidèle que possible de ce qui reste à mes yeux le chef-d’œuvre de John le Carré. Inévitablement, la construction enchevêtrée du roman se trouve quelque peu aplanie 1 — construction « en oignon 2 » typique de le Carré, où chaque couche de demi-vérité dissimule de nouvelles sous-couches de mensonges par omission, où le travail d’enquête, constamment nourri de songeries et de réminiscences d’un passé douloureux, n’est jamais loin de l’autoanalyse, où l’on s’enfonce à tâtons dans un labyrinthe tout à la fois spatial (« Il le guida ensuite le long de toute une succession de couloirs et d’escaliers jusqu’au garage en sous-sol où il avait dissimulé la voiture destinée à assurer leur fuite avec les passeports ») et mental (« De vastes perspectives de duplicité s’ouvraient devant lui. Ses amis, ses amours, même le Cirque 3, se rejoignaient et se refermaient en intrigues aux dédales infinis »). Mais si certains arrière-plans de l’intrigue s’estompent, le filmage très téléfilm britannique et la pauvreté manifeste du budget concourent paradoxalement à recréer l’atmosphère plombée du roman, son climat de paranoïa feutrée, sa peinture antispectaculaire du monde du renseignement : monde terne et sans prestige, fait d’un travail ingrat et répétitif, de dossiers entassés dans des archives poussiéreuses, de planques interminables, de rendez-vous dans des chambres d’hôtel aux papiers peints affreux, de conciliabules de couloir où chacun épie ses collègues et se sait surveillé par eux, de maisons délabrées où l’on cuisine patiemment des ex-agents. Monde claustrophobe en un mot, où l’on passe continuellement d’un lieu clos à un autre ; monde surtout gangrené de l’intérieur, comme toute institution, par sa pesanteur technocratique et ses querelles intestines de pouvoir. Les services secrets britanniques et leurs homologues soviétiques, engagés dans une guerre d’intox réciproque, se présentent à cet égard comme le parfait symétrique l’un de l’autre de part et d’autre du Rideau de fer (l’un des romans les plus lugubres de le Carré ne s’intitule pas pour rien The Looking-Glass War, le Miroir aux espions, titre programmatique de toute sa période guerre froide, et Robert Littell prendra sa suite avec les constructions circulaires du Transfuge et de la Boucle).
Alec Guinness, tout le monde l’a dit, campe un George Smiley idéal, en jouant magistralement de ses silences, d’une lenteur qui rappelle par moments celle de Peter Sellers dans Being There, et d’un regard myope derrière des lunettes trop grandes : c’est une taupe, en somme, qui débusquera la taupe tapie au cœur du Cirque. Reprenant le roman, j’ai été frappé par cette phrase : « [Smiley] ne bougeait que pour polir [les verres épais de ses lunettes] avec la doublure de soie de sa cravate et lorsqu’il le faisait, ses yeux avaient un regard humide, désarmé, qui était un peu embarrassant pour ceux qui le surprenaient. » Guinness a si bien intériorisé Smiley qu’il parvient, entre autres choses, à reproduire exactement cet effet de regard. Mais l’on a aussi plaisir à retrouver, dans le rôle de Bill Haydon, le parfait Ian Richardson, qu’on aima tant dans House of Cards.
1. Seul peut-être Fred Schepisi, dans l’ouverture discrètement magistrale de The Russia House (scénario de Tom Stoppard, ce qui compte aussi), est parvenu à donner un réel équivalent cinématographique à l’écriture à points de vue multiples et superposés de le Carré.
2. Ou en poupées russes, comme le suggère le générique de la série.
3. Le Cirque, c’est le sobriquet équivoque de l’Intelligence Service, sis à Cambridge Circus. On a rarement relevé, à ce propos, l’emploi ironique que fait le Carré du jargon des services de renseignements, où le personnel se répartit en lampistes, traîne-patins, chasseurs de scalps, mémés, baby-sitters, etc.
Tinker Tailor Soldier Spy, minisérie en sept parties de John Irvin. Coffret de deux DVD désormais vendu une bouchée de pain. Sous-titres anglais.
Sherlock (pour info)

La chose étant rarement précisée sur les sites de vente grands-bretons, signalons que le DVD de Sherlock est bel et bien pourvu de sous-titres anglais, dont la nécessité se fait généralement sentir. La revision du premier épisode, A Study in Pink, nous a comblé. Il se confirme aussi qu’un deuxième cycle de trois épisodes est en chantier. Diffusion annoncée pour l’automne 2011. Ce délai d’un an laisse augurer que Moffat et Gattis, préférant le travail bien fait à l’exploitation hâtive du succès, prendront le temps de soigner la suite. On s’en réjouit.
Résurrection de Sherlock Holmes

Pour trouver un Sherlock Holmes revivifié, on oubliera le film pénible de Guy Ritchie et l’on se tournera plus sûrement vers Sherlock, mini-série de trois épisodes dont la diffusion s’est conclue hier soir sur la BBC. L’idée de transposer les aventures de Holmes et du fidèle Watson à notre époque pouvait laisser craindre le pire, et la bande-annonce speedée n’avait rien de bien rassurant. Cependant, le pari a été emporté haut la main par les scénaristes Mark Gatiss et Steven Moffat, avec un dosage parfait de sérieux et d’humour. Il n’y a pas de secret : non seulement les deux compères savent construire des intrigues convenablement enchevêtrées et les mener à vive allure, mais il est manifeste qu’ils possèdent le corpus holmesien sur le bout des doigts. Cette connaissance intime du « canon » leur a permis de moderniser — et de jouer avec — l’univers et les personnages de Conan Doyle sans les dénaturer.
Transplantés dans le monde de 2010, Holmes et Watson ont beau s’y trouver pourvus de tous les attributs techniques modernes — du téléphone cellulaire à l’ordinateur portable —, ils demeurent tels qu’en eux-mêmes, et la dynamique de leur relation est bien restituée au fil d’un dialogue vif et souvent drôle. Watson a été blessé comme il se doit lors d’un conflit armé en Afghanistan (mais il ne s’agit plus du même), tandis que Holmes taquine encore le violon. L’impossibilité, aujourd’hui, de montrer un héros fumer à l’écran l’a certes obligé à renoncer à la stimulation du tabac, mais si l’on redoute un moment une aseptisation du personnage, on a plaisir à voir les scénaristes tourner en dérision cette nouvelle convention sanitaire (les patchs de nicotine donnent lieu à un gag excellent). De même, le soupçon d’homosexualité que certains exégètes ont fait planer sur le tandem donne lieu à d’amusants quiproquos ironiques. Seule touche vintage, l’appartement vieillot de Baker Street, n’était la présence de la télé et du réfrigérateur, paraît une dernière survivance, curieusement préservée, de l’ère victorienne. Ses tons verts et marron passés offrent un net contraste avec les tons bleus et glacés du Londres ultra-contemporain, tout en surfaces lisses et froides, où prennent place les enquêtes (belle photo de Steve Lawes).
Au sein de cet univers high-tech, Moffat et Gatiss parviennent à inventer un gothique moderne, sur lequel plane même l’ombre du Golem. Tout en se présentant comme des histoires originales, les intrigues démarquent, réaménagent, déplacent ou remodèlent habilement les récits (ou des éléments des récits) originaux de Doyle, en tissant au passage dans leur trame un réseau d’allusions si fines qu’elles réjouiront le holmesien aguerri sans pour autant gêner le profane, qui ne se sentira nullement exclu du jeu. Le texte se rappelle aussi à l’image d’une autre manière, sous forme de surimpressions ponctuelles : textos envoyés et reçus, menus de Smartphone, recherches sur le net ou, plus intéressant, succession de mots clés illustrant le processus mental de la déduction chez Holmes. Ce procédé, au bord du gimmick, est employé sans excès et se fond harmonieusement dans la réalisation moderniste de Paul McGuigan et Euros Lyn.
Face à un Martin Freeman parfait en Watson, Benedict Cumberbatch campe un Holmes idoine : péremptoire, juvénile (mais à l’époque d’Une étude en rouge, le héros de Doyle était plus jeune que la plupart des adaptations cinématographiques l’ont laissé croire), obsessionnel, quasi autiste, souvent exaspérant, et sujet à des accès d’ennui majuscule lorsque sa matière grise n’est pas stimulée par une affaire hors normes. Longiligne et ténébreux, sanglé dans un long manteau noir, il s’impose d’ores et déjà comme un des meilleurs interprètes du rôle : beaucoup de charisme, et une superbe voix sourde qui fait penser à celle du cher Alan Rickman. Le cliffhanger sur lequel s’achève le dernier épisode (une piscine publique remplaçant les chutes du Reichenbach !) laisse augurer une deuxième saison. Sortie du DVD le 30 août. N’attendons pas de sous-titres français, mais espérons qu’il y aura des sous-titres anglais pour malentendants. Le dialogue est rapide et dense, et le secours du télétexte fut précieux.
Readymade

Visite anthropologique chez Holt Renfrew
Étant donné son sens de la dérision, Marcel Duchamp se serait sans doute amusé de voir son nom orner des caleçons fleuris. On entend d’ici son fin rire ironique, tel qu’il résonne dans ses entretiens avec Georges Charbonnier. Grâce à cet article de confection anglaise, vous pourrez frimer en proclamant : « J’ai un Duchamp chez moi », ou mieux encore : « J’ai un Duchamp sur moi. » Mais attention : même en solde, le prix reste celui d’une œuvre d’art.
Librairies du monde (2)




Shipley, 70 Charing Cross, Londres. Photos Jelens.
Visage de l’Angleterre
… un de ces visages britanniques typiques que l’on oublie pour toujours lorsqu’on les a vus une seule fois.
Oscar Wilde, cité par Jorge Luis Borges,
Introduction à la littérature anglaise.