Nous circulons entourés de fantômes

Je découvris ainsi des immeubles d’apparence fort commune, mais qui révélaient à l’examen des caractères inattendus, toujours les mêmes.

Quittant l’École Militaire, vous franchissez l’avenue de Suffren et pénétrez ainsi dans le XVe arrondissement, dont le premier immeuble occupe l’angle qu’elle forme avec la rue du Laos. La maison est en biais et ne jouxte pas la suivante. Formant un angle aigu très prononcé, elle s’avance en porte-à-faux, de sorte que, dans une certaine perspective, elle paraît sans épaisseur et ne rien abriter. De nombreuses demeures du quartier de mes explorations sont construites sur le même modèle incongru. Un même mince profil, parfois crénelé de pierres d’attente, s’élève dans le ciel sans qu’aucun édifice ne vienne s’y adosser, s’y imbriquer. L’angle reste en suspens, dessinant un biseau si étroit qu’il décourage sans doute les architectes de construire l’édifice complémentaire.

L’ancien théâtre, le 55 de la rue de la Croix-Nivert, est enfermé dans un fer à cheval étiré, au fond duquel donnent les issues de secours et que constituent les rues Meilhac et Auguste-Dorchain. Courbe et austère, une seule façade occupe toute la longueur de cette dernière. Elle s’achève par le plus accompli des biseaux dont j’ai déjà parlé : une arête tranchante qui porte verticalement l’inscription BAINS-DOUCHES en capitales composées de gros clous à tête nickelée et réfléchissante. Ils prennent l’épaisseur entière de l’éperon terminal. Si l’on se place devant le bar du Soleil, sorte d’annexe du cinéma, sur le bord du trottoir, la longue façade, le biseau sont seuls visibles, de sorte que l’illusion d’une maison sans épaisseur s’impose absolument. Personne, sauf des êtres infiniment minces, ne pourrait habiter l’apparence d’immeuble, qui ne reprend consistance qu’à mesure qu’on dépasse la fine étrave et que s’évase lentement la haute muraille aveugle qui clôt l’édifice par derrière.

Un jour, je feignis par jeu que ces demeures étaient destinées à des persécutés que leur construction convenue, surprenante, avertissait qu’ils pourraient, sans crainte d’erreur, y trouver refuge, un peu à la manière dont les Compagnons du Tour de France connaissaient dans chaque ville le gîte qui les accueillerait pour la nuit.
Les demeures plates accueilleraient infailliblement des locataires fabuleux et fluides qui habitent en fraude les grandes villes, des êtres flottants venus d’on ne sait quels limbes, identiques pour l’apparence aux êtres humains, mais capables le moment venu de diminuer progressivement jusqu’à l’épaisseur d’une feuille de papier, afin de se trouver à l’aise dans les immeubles en biseau. Il s’agirait donc en premier lieu de créatures ductiles et mimétiques, susceptibles de donner le change aux humains, empruntant nos habitudes et notre allure, mais sans ressentir nos émotions ni partager notre philosophie, jamais tout à fait à l’aise dans notre atmosphère, encore moins dans notre société. Ce sont des voyageurs lointains, radicalement incompatibles avec notre espèce. Ils proviennent d’une autre planète, d’un univers parallèle, éventuellement non physique…

Roger Caillois, Petit guide du XVe arrondissement à l’usage des fantômes,
in Apprentissage de Paris. Fata Morgana, 1984.
(le dernier fragment est un montage.)

P.-S. 1 : Ce beau texte a donné lieu à un film de télévision produit par Pascale Breugnot et réalisé par Pierre Desfons, qui doit dormir dans les archives de l’INA. Toute info à ce sujet sera bienvenue.

P.-S. 2 : Sur Caillois et les fantômes du XVe, voir aussi l’intéressant Bloc-notes de Thierry Bézecourt.




Aptonymie


Liège, en promenade avec BC & BC.


lundi 6 août 2007 | Pérégrinations | 1 commentaire


Chambres imaginaires

À Lisbonne un dimanche après-midi, vous descendez au Rato. Un peu plus haut, derrière l’aqueduc dont les arches sont comme une entrée dérobée donnant sur un autre monde, le petit square ombragé d’Amoreiras est un retrait secret à l’écart du temps et de l’animation urbaine. Les oiseaux se baignent dans la fontaine – les pigeons prennent littéralement leur douche sous le jet d’eau -, des enfants jouent. Sur les bancs, un couple d’amoureux, un lecteur solitaire, des vieilles dames qui papotent. Vous entrez au Musée Arpad Szenes-Vieira da Silva, un petit musée comme vous les aimez, discret, lumineux et peu fréquenté – en tout cas le dimanche. Il y a là, vous le découvrez en entrant, une exposition temporaire d’un peintre que vous ne connaissez pas, Nikias Skapinakis. Coup de foudre.

L’exposition s’intitule Quartos imaginários. Skapinakis a eu l’idée merveilleuse de représenter les chambres imaginaires de peintres et d’écrivains : Cézanne, Gauguin, Van Gogh, Klee, Schiele, Chagall, Matisse, Picasso, Ernst, Chirico, Morandi, Frida Kahlo, Louise Bourgeois, Cavafy, Pessoa,… Les toiles, de format identique, présentent des intérieurs souvent dénudés, avec un point de vue frontal, une perspective en raccourci et des tons sourds en larges aplats. L’univers de chaque créateur est suggéré au moyen d’un subtil réseau d’allusions. La chambre de Chirico reprend la composition d’un Intérieur métaphysique, avec au centre un échafaudage chiriquien librement réinterprété, observé depuis la gauche par André Breton dont le visage se découpe dans le cadre d’une fenêtre (élément qui provient, lui, d’une toile de Max Ernst, la Vierge corrigeant l’enfant Jésus). La peinture se fait recueillement, cosa mentale, et si chaque toile retient l’attention, leur réunion dans une salle décuple leur pouvoir d’évocation.


La chambre de Frida Kahlo


dimanche 30 juillet 2006 | Chambres,Pérégrinations | Aucun commentaire


À l’affiche


Lisbonne, juillet 2006


samedi 29 juillet 2006 | Pérégrinations | Aucun commentaire


Musée Robert Tatin (Cossé-le-Vivien)

Laval a enfanté Alfred Jarry, le Douanier Rousseau et Robert Tatin (1902-1983). Tatin a fait tous les métiers : pâtissier, décorateur, compagnon charpentier, entrepreneur de peinture en bâtiment, patron de bistro, céramiste, peintre et poète. Ami d’André Breton, grand voyageur (en Amérique latine, notamment, où il vécut parmi les Indiens Araucans de la Terre de Feu), cet homme aux mille curiosités occupa les vingt dernières années de sa vie à édifier un prodigieux domaine en pleine campagne, à Cossé-le-Vivien — lieu magique et enchanté, sorte de Palais idéal tenant de la statuaire de l’île de Pâques, de l’art aztèque et des totems africains.

juillet 2004


jeudi 6 octobre 2005 | Pérégrinations | Aucun commentaire


Alfred Jarry, né à Laval

À Alfred Jarry, la triste ville de Laval (Mayenne) a fait l’aumône d’un bout de rue — prodigieusement banale et sans caractère, comme par un fait exprès.

Cependant, la statue d’Ubu a une certaine allure.


juillet 2004


mercredi 5 octobre 2005 | Pérégrinations | Aucun commentaire


Tinchebray

À Tinchebray, la maison natale d’André Breton est à vendre… En raison de la présence d’une fabrique voisine, tout le quartier fleure le chocolat.


juillet 2004


mardi 4 octobre 2005 | Pérégrinations | Aucun commentaire