Dimanche en jazz (8) : Chris Connor
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Nice Work if You Can Get It. Arrangement de Ralph Sharon. 12 mars 1957.
Lorsqu’on évoque les grandes interprétations des chansons de Gershwin, on songe en premier lieu à Ella Fitzgerald et à son monumental George & Ira Gershwin Songbook enregistré pour Verve sous la houlette de Norman Granz (cinquante-trois chansons, des plus connues aux plus obscures, réparties sur cinq 33 tours puis quatre CD). Mais révérence gardée à la grâce solaire d’Ella, les orchestrations luxueuses et satinées de Nelson Riddle, avec leur débauche de cordes, ne sont guère à mon goût ; si bien que je suis porté à lui préférer le remarquable double album de Chris Connor.
Relativement négligée aujourd’hui hors du cercle des happy few, Connor est la chanteuse cool par excellence, dans le sillage de June Christy (à laquelle elle succéda dans l’orchestre de Stan Kenton), mais avec un grain de voix plus riche et plus pénétrant. Le Gershwin Almanac of Song est sans doute son chef-d’œuvre: un projet manifestement mûri, et d’une remarquable unité quoiqu’il mobilise sept formations instrumentales différentes. Nice Work if You Can Get It offre, en à peine plus d’une minute, un condensé de son art. Elle y swingue avec une parfaite relaxation sur tempo médium tout en remodelant sans effort le tempo et la mélodie. Les séances Bethlehem et Atlantic de la dame méritent aussi le détour.

Sur le pavé, le jazz

Jamais vu ça en vingt ans de fréquentation de la brocante Saint-Pholien. Le jazz, aux puces, ça se résume d’ordinaire à quelques compils de troisième ordre égarées entre les Quatre Saisons, les chefs-d’œuvre de l’opérette et les grands hits de la dance music. Très rarement, un vinyle intéressant. Là, c’était tout le contraire. Une collection de CD d’une qualité exceptionnelle, témoignant d’un goût sans faille ; une vie d’écoute et de passion. Le destin ordinaire d’une collection après la mort du collectionneur, c’est la dispersion ; mais cela m’a fait mal au cœur de la voir finir ainsi, jetée sur le pavé par des héritiers pressés. Elle méritait un meilleur sort. Elle appartenait à un avocat, monsieur Frankinet de la rue des Bonnes-Villes, qui, personne n’est parfait, avait la mauvaise habitude d’inscrire son nom et son adresse sur toutes les pochettes (tantôt en la griffonnant d’une écriture à grands jambages, tantôt au moyen d’un coup de tampon encreur ou encore d’une étiquette autocollante impossible à enlever sans tout déchirer), et de souligner au bic ou au marqueur fluo ses plages préférées. Paix à ses cendres. Je lui dois d’avoir enrichi ma collection de soixante CD pour la somme de 50 €. Que du premier choix : Sinatra période Capitol (la meilleure), Basie, Benny Carter, Teddy Wilson, Monk, Rollins, Mingus, Dolphy, Jackie McLean, Art Pepper, Warne Marsh, Mal Waldron, Steve Lacy, Cecil Taylor, Jimmy Lyons, Bill Dixon, Anthony Braxton, David Murray, John Zorn and so forth. Et si j’étais arrivé cinq minutes plus tôt, j’aurais chopé une pile imposante de Sun Ra et de Vienna Art Orchestra dont s’est emparé un autre amateur.
Dimanche en jazz (7) : Gil Mellé
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Quadrama
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Iron Works
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Walter Ego
Gil Mellé Quartet
Gil Mellé (sb) et Joe Cinderella (g), avec Billy Philips (cb) et Ed Thigpen (bt) (Iron Works, 1er juin 1956) ; avec George Duvivier (cb) et Shadow Wilson (bt) (Quadrama et Walter Ego, 26 avril 1957).
On replonge ces temps-ci avec un vif plaisir dans la musique de cet intrigant saxophoniste, arrangeur et compositeur. Gil Mellé citait Bartok, Varèse et Herbie Nichols parmi ses principales influences. On suppose qu’il avait aussi prêté une oreille attentive au nonet de Miles Davis. Il compte parmi ces musiciens pour happy fews qui inventèrent dans les années 1950 un jazz de chambre aux combinaisons instrumentales inhabituelles (c’est l’époque où le tuba et le cor français font leur entrée dans les petites formations), nourri de musique « savante », de contrepoint et de polytonalité. Outre leur recherche de couleurs et de textures musicales inédites, les compositions ciselées de Mellé témoignent d’un sens de la miniature peut-être développé au contact de la musique d’Ellington, dont il avait commencé à collectionner les disques à un âge où l’on songe plutôt à jouer aux billes.
Ce fut de fait un enfant précoce. Né en 1931 dans le New Jersey, il s’installe dès l’adolescence à Greenwich Village, vit la vie de bohème, s’adonne à la peinture et à la sculpture, et commence à se produire à l’âge de seize ans dans les clubs et cabarets new-yorkais. Il y est repéré par Alfred Lion, l’un des deux patrons de Blue Note, qui lui fait enregistrer son premier disque à dix-neuf ans. Au-delà de sa contribution musicale, Mellé jouera un rôle crucial dans l’histoire de Blue Note : versé dans les arts visuels, il participe à la création de l’identité graphique très forte du label dont il conçoit, avec John Hermansader et Paul Bacon, les pochettes des premiers 33 tours ; et c’est lui qui présentera à Alfred Lion l’ingénieur du son Rudy Van Gelder — la suite est connue. Ironiquement, c’est pour Prestige qu’il enregistrera quelque temps plus tard ses meilleurs disques, Primitive Modern, Quadrama et Gil’s Guests, avant d’entamer une seconde et féconde carrière à Hollywood où il deviendra un pionnier de l’emploi des sons électroniques dans la musique de film et de télévision (cf. notamment la B.O. du Mystère Andromède de Robert Wise).

Dimanche en jazz 6
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Count Basie
Li’l Darlin’.
Wendell Culley, Snooky Young, Thad Jones, Joe Newman (tp) ; Henry Coker, Al Grey, Benny Powell (tb) ; Marshall Royal, Frank Wess, Eddie Lockjaw Davis, Frank Foster, Charles Fowlkes (sax) ; Count Basie (p) ; Freddie Green (g) ; Eddie Jones (cb) ; Sonny Payne (bt). Arr. : Neal Hefti. Prise de son : Bob Arnold. New York, Capitol Studios, octobre 1957.
La thérapeute siphonnée d’Ally McBeal a raison : il nous faut une theme song. La mienne change toutes les quinzaines. Depuis que je l’ai réentendu l’autre matin dans un bistro, c’est Li’l Darlin’ qui me suit partout, rythme mes pas, m’accompagne sous la douche. Je l’écoute tous les jours. Arrangement somptueux de Neal Hefti, texture orchestrale enveloppante, en nappes soyeuses superposées soutenues par quelques notes de baryton très graves placées juste au bon endroit pour vous faire doucement léviter1. Rhaa ! Si ma mémoire est bonne, c’est à propos de ce morceau qu’un musicien de l’orchestre louait le sens inné du tempo chez Basie. À l’origine, la partition était écrite sur un tempo beaucoup plus vif. Et Basie, immédiatement : « Mais non, c’est comme ça qu’il faut le jouer. » Comme ça : sur ce rythme voluptueusement ralenti qui dispense une ivresse entêtante. Pour un autre musicien, Li’l Darlin’ est « the perfect test of patience. That’s the hardest part about it : not rushing it ». Henri Salvador en a donné une belle version chantée, avec l’orchestre de Christian Chevallier et quelques chanteurs des Double Six, rien que ça. Sur Basie, voir aussi ici.
1 De tout cela, il est à craindre qu’il ne reste plus grand-chose sur des enceintes d’ordinateur. Procurez vous donc The Complete Atomic Basie, le dernier grand disque du Count (Médiathèque : UB1686).
Faudrait

Gérald Godin et Pauline Julien en 1969. Photo Gabor Szilasi.
Pauline Julien : Faudrait.
Paroles : Réjean Ducharme. Musique : Jacques Perron. Direction musicale : Jacques Marchand. Récital au Théâtre du Nouveau Monde (Montréal), septembre 1975.
L’hymne de la rentrée.
Défi au complétisme
Pour Raminagrobis.
If you go to Anthony Braxton’s new tricentricfoundation.org web site, you can download two new Braxton House CDs every month. He’s such a valuable artist that we really need to hear all his recordings, because even if some fail, others are superlatively good and important. Trouble is: he reportedly has 300 albums issued so far. If we buy only two of his albums each month, it would take 13 years to get them all. In the meantime, at the rate of seven new albums a year, he will have released 93 additional albums, which would take another four years to acquire — a total of 17 years. Plus, in those four more years he will have released 28 more albums — and so on. Plus, seven new albums a year is surely an unrealistically conservative estimate. Besides, I’m counting on Braxton to keep playing until he is 120 years old. […]
John Litweiler, Point of Departure no 34, avril 2011.
Extrait d’une recension
de Trio and Quintet (Town Hall) 1972 (hatOLOGY)
et 6 Duos (Wesleyan) 2006 (Nessa)

Dimanche en jazz 5

Roy Eldridge et l’orchestre de Gene Krupa dans Ball of Fire de Howard Hawks.
Un coup de trompinette pour saluer l’arrivée du printemps.
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I Hope Gabriel Likes My Music
Gene Krupa’s Swing Band
Roy Eldridge (tp) ; Benny Goodman (cl) ; Chu Berry (st) ; Jess Stacy (p) ; Israel Crosby (cb) ; Gene Krupa (bt). Chicago, 29 février 1936.
[audio:http://home.scarlet.be/~th046862/zk/re02.mp3]
Wabash Stomp
Roy Eldridge and His Orchestra
Roy Eldridge (tp) ; Scoops Carey (sa) ; Joe Eldridge (sa, arr) ; Dave Young (st) ; John Collins (g) ; Truck Parham (cb) ; Zutty Singleton (bt). Chicago, 23 janvier 1937.