Rentrée
J’aime le travail. Il m’intéresse, il me fascine. Je puis rester des heures à le contempler. J’imagine tant sa présence que l’idée de me débarrasser de lui me brise le cœur. On ne pourrait me donner trop de choses à faire. Amasser du travail est devenu pour moi presque une passion. Mon bureau en est si rempli qu’à peine s’il reste assez de place pour en accueillir davantage. Si cela continue, je vais être obligé de faire agrandir ma maison.
De mon travail j’ai le plus grand soin. J’en ai là, près de moi, depuis des années, et je vous défie d’y apercevoir seulement la trace d’un doigt. Mon travail ! J’en ai la fierté. De temps en temps, je le prends et je l’époussette. Je suis certain que personne n’entretient son travail dans un état de meilleure conservation que je ne fais.
Jerome K. Jerome, Trois hommes dans un bateau
La poésie ce matin (4)
LEÇONS DE NOYADE
Tout est rendu facile
tout est futile
tout est exil
tout est sans fil.
Tout m’habite et
des termites mangent
ma gueule de bois.
Je suis lent et
l’eau monte
l’eau descend
les escaliers
d’une maison
où l’on donne des
leçons de noyade.
Pour moi
tout est surréel
depuis que
Gala a floshé
Paul Éluard
pour Salvador Dali.
Patrice Desbiens, En temps et lieux. L’Oie de Cravan, 2007.

*
Il serait si facile, avec un tel matériau, de faire des mauvais vers (d’ailleurs, les exemples abondent) qu’on est épaté par le naturel désarmant avec lequel Patrice Desbiens, poète franco-ontarien vivant à Montréal, fait surgir la merveille ou l’étrangeté au sein de la plate réalité urbaine ou du quotidien navrant, envisagés tour à tour avec mélancolie et dérision. La petite musique de l’auteur se fait aussi agréablement entendre dans Désâmé (Sudbury, Prise de parole, 2005).
Ce qu’ils lisent
17 juin
Dans le Thalys Liège-Paris
– Lèvres ourlées, lunettes design, une jeune femme lit les Mémoires de Fanny Hill de John Cleland dans une vieille édition J’ai lu.
– Une dame est plongée dans un Bernard Werber, l’Empire des anges.
– Une trentenaire ouvre Kalte Asche de Simon Beckett.
– À ma gauche, un couple d’Allemands approchant la trentaine. Elle lit un thriller de John Katzenbach, Das Opfer ; lui, un recueil d’essais de Stephen Jay Gould, Wie das Zebra zu seinen Streifen kommt, qu’il délaisse ensuite pour un guide de Paris.
– Un étudiant potasse la Préface à la phénoménologie de l’esprit de Hegel.
Paris
18 juin
– Dans le métro, direction Porte de Clignancourt, une dame portant un pull marin breton saura, grâce à Gérard De Vecchi, Enseigner par situations-problèmes. Deux autres lectrices sont assises sur des strapontins. La première s’absorbe dans un thriller, la deuxième dans un 10/18 au titre bleu sur fond violet, indéchiffrable même à deux mètres.
– Place Saint-Sulpice, au Café de la Mairie. Vers 15 heures, deux femmes papotent à la terrasse. Sur leur table, le Temps des assassins d’Alexandre Litvinenko et Iouri Felchtinski. Un peu après minuit, un sexagénaire à barbe et chevelure blanche, vêtu d’un complet de lin de même couleur, quitte le café en tenant sous le bras une anthologie publiée chez Seghers, l’Année poétique 2009.
20 juin
– Ligne 9, direction Mairie de Montreuil. À Strasbourg Saint-Denis, une dame s’assoit à côté de moi et ouvre un roman de Tanya Huff, Long Hot Summoning. Elle porte une veste et un pantalon jeans, mâche un chewing-gum et aurait besoin d’un shampoing.
– Derrière nous, un homme tout en noir lit un thriller publié chez Presses Pocket, dont le titre contient le mot vendredi.
– Rue de Bretagne, à la terrasse du café Le Progrès, une blonde BCBG à lunettes chic et chemisier rouge fume avec quelque affectation en lisant Tentative d’épuisement d’un lieu parisien de Perec. Elle quitte la terrasse à midi trente.
– Sur l’esplanade Beaubourg, une jeune femme brune portant un paletot moutarde s’est assise, jambes croisées, pour lire Floraison sauvage d’Aharon Appelfeld. On aperçoit un autre livre à la tranche jaunie dans son sac ouvert.
– Un couple chic est assis contre la fenêtre du Vieux Colombier. Elle sirote un vin blanc, il a opté pour une bière. Sur leur table, les Poésies de Michel Houellebecq.
– Beaucoup d’animation au métro Odéon, à 1 h 20 du matin. Indifférente au bruit ambiant, une petite jeune femme lit la Chute de Camus. Elle monte dans une rame où se trouve un lecteur de la Fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette de Stig Larsson.
21 juin
– Rue Cadet, à la terrasse du Julian, une jeune femme au foulard bariolé savoure son café avec Sacrés Américains de Ted Stanger.
– Dans le métro, direction Mairie de Montreuil, une lectrice de la Jeune Fille et la Perle de Tracy Chevalier et une autre des Falsificateurs d’Antoine Bello.
– Direction porte d’Orléans, un lecteur de l’Iliade monte dans un wagon où une dame lit la Raison du plus faible de Jean-Marie Pelt.
– Toujours dans le métro, direction Créteil, une jeune femme brune portant un chemisier gris tourne la page 214 de Captive de Clara Rojas.
Dans le Thalys Paris-Liège
– Glissé dans un filet, Toutes ces choses qu’on ne s’est pas dites de Marc Levie.
– Une dame est plongée dans un roman de Vincent Engel dont je ne peux, malgré diverses contorsions, déchiffrer le titre.
– Deux Allemandes feuillettent ensemble le Grand Livre de la maison miniature en commentant les illustrations.
– Devant moi, une femme aux ongles vernis lit les Petits Secrets d’Emma de Sophie Kinsella.

17 juin : deux lecteurs et une lectrice dans le Thalys.
Chambres

Hôtel Jean Bart, juin 2009.
Avec une pensée pour Jacques Izoard, dont c’était, me dit-on, le port d’attache à Paris.
(et une publicité subliminale pour les deux plusses meilleures revues du monde.)
Corsaires et sirènes

Le Bathyscaphe a survécu à sa longue immersion dans les eaux froides de l’hiver et vient de retrouver le chemin du port de Montréal. À son bord, des textes repêchés contre vents et marées, mais aussi des images, du sexe et des jeux !

Au sommaire : Jean-Yves Bériou, Simon Bossé, Daniel Canty, Geneviève Castrée, Benoît Chaput, Byron Coley, Louis-Philippe Côté, Bérengère Cournut, Hélène Frédérick, Sarah Gilbert, Joël Gayraud, Thierry Horguelin, Morag Kidd, A.J. Kinik, Julien Lefort, Anne Marbrun, Monsieur Moulino, Thurston Moore, Hermine Ortega, Antoine Peuchmaurd, Pierre Peuchmaurd, Hannah Reinier, Pierre Rothlisberger, Alexandre Sanchez, Barthélémy Schwartz, André Stas, Valerie Webber.
Le fier équipage présentera son nouveau rapport de plongée à la librairie le Port de tête (262, av. du Mont Royal Est, Montréal), ce jeudi 11 juin à partir de 18 h 30.
Le personnel de bord de la librairie vous prouvera qu’il a le pied marin et vous attendra en salle des machines ou sur le délicieux pont arrière pour pourvoir à vos moindres besoins :
– Vins de mer rouges !
– Barbecue des boucaniers !
– Rires et barbes à rabais !
Le cocapitaine Benoît Chaput en profitera pour lancer à la mer son Carnet de neiges, qui inaugure à l’Oie de Cravan une nouvelle collection de plaquettes cousues main, «Le fer & sa rouille ».
Les plongeurs croisant dans les profondeurs du Marché de la poésie de Paris (place Saint-Supplice, 18-21 juin) pourront ramener ces trésors dans leurs filets au stand de l’Oie de Cravan.

L’équipage du Bathyscaphe. À droite, le capitaine Chaput.
Montréal honore nos grands hommes



La boîte aux lettres du professeur Aronnax.
Chambres

Rue Berri, Montréal.