Shakespeare à Downing Street
Shakespeare est le coscénariste secret de la plupart des fictions télévisées sur le pouvoir et ses manipulations. On le vérifie avec House of Cards (1990-1995), mini-série anglaise en trois volets racontant l’irrésistible ascension, l’apogée et la chute du machiavélique Francis Urquhart, prêt absolument à tout pour accéder à la fonction de Premier ministre et s’y maintenir.
La série débute immédiatement après la fin du règne de Margaret Thatcher. Urquhart occupe alors la fonction de Chief Whip du Parti conservateur. À la fois soumis à la discipline de parti et chargé de la faire respecter, ce faux modeste s’acquitte de sa tâche en maniant expertement la carotte et le bâton. Au lendemain de nouvelles élections, mortifié de se voir refuser le portefeuille de ministre qu’on lui avait promis, il va lâcher la bonde à son ambition et frayer son chemin jusqu’au poste de PM en multipliant les basses manœuvres, les chantages et les manipulations, les fuites organisées dans la presse et les coups de poignard dans le dos. Le tout avec une appréciation exacte des rapports de force et du moment juste où il faut avancer ses pions. Urquhart triomphe non seulement parce qu’il est sans scrupules, mais parce qu’il est en compétition avec des incapables.
Michael Dobbs, dont la série adapte la trilogie romanesque, fut lui-même une pointure du Parti conservateur et un proche conseiller de Thatcher — ce qui ne l’empêche nullement de taper sur son camp avec une joie féroce, tout autant que sur les travaillistes. On sent là derrière une expérience de première main qui donne une grande crédibilité à la description des rouages du système parlementaire, des conciliabules d’antichambre, des liens de connivence entre pouvoir et médias.
Les Anglais sont très forts à ce jeu, et House of Cards prend place dans une famille nombreuse où l’on compte A Very British Coup, The Deal, ou encore, sur le versant comique, la savoureuse sitcom Yes, Minister. Mais en raison de la réjouissante noirceur du ton, du cynisme absolu du protagoniste et d’une parenté de procédé narratif, on songe aussi à l’excellente série américaine Profit, c’est-à-dire — nous y voilà — à Shakespeare. Comme Jim Profit, Francis Urquhart brise en effet régulièrement le « quatrième mur » en s’adressant directement à la caméra, c’est-à-dire au spectateur dont il fait son confident et — plus retors — son complice, sur le modèle des apartés au public de Richard III — inspiration avouée des deux séries. À l’instar d’ailleurs de Richard III, la stratégie d’Urquhart consiste à démentir toute ambition personnelle pour mieux intriguer en coulisses afin d’éliminer l’un après l’autre ses adversaires. On le verra également nouer, avec la bénédiction d’une épouse très Lady Macbeth, une relation profondément ambiguë, de caractère incestueux, avec une jeune journaliste devenue sa taupe et son relais dans le monde de la presse.
La théâtralité du procédé se fond en souplesse dans un filmage classique et soigné — la qualité anglaise BBC à son meilleur. Elle s’appuie sur un dialogue au rasoir et un casting de première classe, dominé par la prodigieuse interprétation d’Ian Richardson, grand acteur shakespearien (on n’en sort pas) et l’un des fondateurs de la Royal Shakespeare Company. Son fin sourire assassin, son regard d’acier et sa diction d’une suavité délectable confèrent à Urquhart une sorte de grandeur dans l’abomination. On ne se lasse pas de l’entendre répéter aux médias, lorsqu’il ne veut ni soutenir ni démentir une allégation : « You might very well think that ; I couldn’t possibly comment. » Phrase qui, paraît-il, est passée en proverbe outre-Manche.
Pour la petite histoire, le premier épisode de House of Cards fut diffusé à la BBC le 18 novembre 1990, soit quatre jours avant l’annonce officielle du retrait de Thatcher. Compte tenu des délais d’écriture et de tournage, les scénaristes avaient donc anticipé de plusieurs mois ce départ. Ce côté réalité qui rejoint la fiction en direct produisit son petit effet sur les spectateurs de l’époque, qui trouvèrent dans la série un écho troublant à la situation politique du moment.
Ajoutons qu’au début du troisième volet, on érige un monument à la mémoire de feue (!) Mrs Thatcher, monument dont chacun s’accorde à mots couverts à reconnaître que c’est une horreur qui défigurera le parc où il s’élévera. Au risque de répéter un poncif, ce n’est pas demain la veille qu’on verra cela dans une série hexagonale.
House of Cards. Coffret BBC de trois DVD double-faces. Sous-titres anglais.

Ce qu’ils lisent
Place Saint-Paul, fête du 1er mai. Debout face à la scène où l’orchestre assène à plein tube de la musique boum-boum, un grand blond barbu en veste de cuir, droit comme un i et sérieux comme un pape, lit Stupeur et tremblements d’Amélie Nothomb.
Pierre Peuchmaurd
Nous nous dépeuplons un peu plus chaque jour. Hier matin la lettre versatile de Jimmy Gladiator tombe dans la boîte à courriel, qui annonce la mort de Pierre Peuchmaurd, et la tristesse envahit tout. Je ne l’avais jamais rencontré, nous avions échangé une lettre en tout et pour tout, et pourtant – au risque de paraître présomptueux – j’ai l’impression d’avoir perdu un proche, dont la voix va me manquer. Il y avait ses plaquettes semées à tout vent, ses recueils d’aphorismes (on les ouvrait pour en retrouver un et l’on se surprenait à tout relire), le florilège de citations de son Encyclopédie cyclothymique, à portée de main sur la table de chevet pour y picorer de temps à autre. J’aimerais savoir parler de poésie pour dire combien ses poèmes m’allaient – me vont toujours – droit au cœur. Les mots y vibrent au diapason des corps et de l’orage, le sang bat dans leurs veines ; le vent s’agite dans le sombre des feuilles, les animaux inquiets respirent, tapis dans leurs forêts profondes. Sans doute parce qu’à rebours de presque tout ce qui se publie aujourd’hui sous l’appellation de « poésie », lui persistait à croire au démon de l’analogie, au pouvoir enchanteur ou médusant de l’image, à ce pouvoir qu’a l’image poétique de nous porter ailleurs et d’agrandir en nous le sentiment d’exister.

Une image de Jean-Pierre Paraggio pour la Nature chez elle de Pierre Peuchmaurd (L’Umbo, 2008)
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Quels furent vos liens avec le surréalisme ? Quels sont-ils encore aujourd’hui ?
Immédiats, définitifs, non exclusifs. Je vous l’ai dit, tout a commencé avec Nadja – ce qui n’est pas très original – et ça n’a jamais cessé, cette chose-là ne peut pas cesser. Une brève rencontre avec Breton a illuminé mes seize ans. Plus tard, après 1968, ma « trajectoire » a croisé celle du groupe surréaliste au moment où il cessait d’être, laissant place à une diaspora dans laquelle je me suis toujours situé, et aujourd’hui encore la plupart de mes amis viennent de là. Non exclusifs, cependant, ces rapports, en partie parce que le surréalisme en tant qu’activité collective n’existait plus, mais surtout en raison d’un éclectisme assez grand qui m’a fait chercher la poésie (la vie) partout où elle se trouvait et non pas dans un « milieu ». Mais enfin, oui, le surréalisme a été, reste une des passions de ma vie, et certainement son axe moral.
Extrait d’un entretien avec Olivier Hobé
(Quimper est poésie n° 29, octobre 2000)
La poésie ou plutôt le poème ne doit rien au rêve. À la rêverie, peut-être, et alors à la divagation, si vous voulez. En vérité, je ne crois pas qu’elle se fasse ailleurs que sur les lèvres, dans la voix, au hasard de sa venue qui, chez moi, se produit presque toujours en marchant et à l’aperçu, à l’entrevu de quelque chose. […] Il y a un autre monde, vous savez : il est ici et ne demande qu’à apparaître. Qu’on appelle cela « surréalité » ou « plus de conscience », c’est toujours de l’immanence cachée, mais clignotante, scintillante, qui fait signe et qui se dévoile quand elle veut et… quand vous pouvez. […] Le poème, chez moi, est presque toujours le produit, l’accompagnement et comme la traduction simultanée d’une espèce d’apparition. Presque toujours aussi, ce phénomène est bref, et je ne vois pas pourquoi le poème devrait se prolonger au risque de le diluer, de l’épuiser. Il doit laisser une vibration dans l’air. Il doit blesser aussi, ouvrir la terre mais comme une épine, pas comme un tracteur.
Extrait d’un entretien paru dans Le Matricule des anges
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Poésie
Parfaits Dommages (L’Oie de Cravan)
Le Bel Endroit (Le dé bleu)
Émail du monde (Atelier de l’Agneau)
Lisière lumineuse des années (L’air de l’eau)
Le Tigre et la chose signifiée (L’Escampette)
Au chien sédentaire (Pierre Mainard)
Scintillants squelettes de rosée (Simili Sky)
et beaucoup d’autres
Aphorismes
À l’usage de Delphine (L’Oie de Cravan)
L’Immaculée Déception (Atelier de l’Agneau)
Le Moineau par les cornes (Pierre Mainard)
Plus vivants que jamais (Laffont), que les commémorations soixante-huitardes oublient régulièrement de citer.
Encyclopédie cyclothymique (Cadex)
Maurice Blanchard (Seghers, « Poètes d’aujourd’hui »), dont Peuchmaurd avait aussi préfacé l’extraordinaire journal de guerre, Danser sur la corde (L’Éther vague).
Erreur sur la personne
À 16 h 32, sur le quai n° 3 de la gare de La Louvière Sud, une drôle de petite dame me prend pour Jerry Lewis. Un peu interloqué, je lui réponds que je suis très flatté mais qu’il y a manifestement erreur sur la personne. « C’est à cause du beau temps», me dit-elle en souriant, comme si cela expliquait tout.
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Après coup j’ai pensé à la date, en me disant que la réalité faisait parfois d’étranges poissons d’avril.

Rue du Borrégo
Jacques Réda a souvent évoqué son attirance pour les rues ordinaires, sans attrait particulier, l’espèce de contemplation médusée qu’elles suscitent, voisine de l’idiotie. Dans leur charme insidieux se révèle une certaine vérité de notre rapport à la ville ; et il arrive parfois, au moment où l’on s’y attend le moins, qu’un détail d’apparence anodine nous y fasse mystérieusement signe.
C’est dans cet ordre d’idées qu’il consacre, dans Le vingtième me fatigue, un chapitre à la rue du Borrégo, élue à proportion de sa banalité, et qui m’est en effet apparue – le texte m’ayant donné l’irrépressible envie d’aller juger sur pièce – d’une absolue banalité.
J’ai retrouvé sans peine le bureau de poste au coin de la rue du Télégraphe, l’affreuse église Notre-Dame des Otages, les « insipides façades rectilignes », les impasses « décevantes », le « pavillon qui subsiste sous une avalanche de verdure sombre (il se cache, il croit qu’on ne l’a pas vu) », le « vieux massif d’habitations en brique d’un jaune grisâtre » ; mais plus de trace du minuscule terrain vague dont les « feuillages débordent au-dessus d’un mur où l’on a peint des poissons multicolores ». Un terrain vague pourtant « si petit, si peu exploitable qu’il est probablement de ceux qui maintiendront vivant encore pendant quelques années le souvenir de cette espèce urbaine en voie de disparition ». Six années auront suffi – le texte date de 2003 – à le faire disparaître. Mais peut-être suis-je passé à côté sans le voir ? Ou peut-être n’apparaît-il qu’à certaines heures ? Il faudra donc retourner rue du Borrégo.
Mystères de l’analogie, un immeuble de cette rue évoquait à Réda avec une absolue certitude la ville de Trieste où il n’a pourtant jamais mis les pieds ; j’en avais dit un mot ici.




Il y a sans doute un autre motif à mon attirance pour ces rues quelconques, et c’est dans une certaine mesure notre parenté. Je me vois souvent moi-même comme quelqu’un de très ordinaire, privé d’arcanes et de profondeurs […]. L’espèce d’affection que j’éprouve pour de telles rues serait donc en un sens fraternelle. J’irais retrouver auprès d’elles ma vraie famille, mon vrai climat. Ce qui s’explique moins bien est le sentiment d’obligation morale qui s’ajoute à cet attachement, qui peu à peu le supplante et peut-être à la longue en aura raison. Parce qu’il me persécute, me contraint à entreprendre des circuits démoralisants et – des jours comme celui-ci où je me transforme positivement en une rue endormie et banale de quartier mort – à chercher sur un plan quelle place j’occuperais dans l’indistinction de la ville, si j’étais fait plutôt d’espace que de temps.
Jacques Réda, Le vingtième me fatigue. La Dogana, 2004.
Ce qu’ils lisent
25 mars
Liège-Guillemins
– Quai n° 3, une jeune femme brune attend le train avec Acide sulfurique d’Amélie Nothomb.
Dans le Thalys Liège-Paris
– Une dame a posé à côté d’elle Ich bin dann mal weg de Hape Kerkeling.
– Assis côte à côte, une quinquagénaire à lunettes vertes design est plongée dans Revelation de C.J. Sansom, tandis que son voisin, la quarantaine un peu déplumée, lit Zwischen Freiheit und Bindung de Friedhelm Mennekes. Plus tard, il remettra son livre dans le filet devant lui, où il rejoindra un exemplaire à couverture rouge de Lenz de Büchner.
– Trois personnes potassent des guides touristiques de Paris.
– De nouveaux voyageurs embarquent à Bruxelles. Un monsieur à lunettes et cheveux blancs très courts sort de son sac le Dieu de demain de Neale Donald Walsch. Un barbu extrêmement nerveux entre lesté d’une copieuse thèse de doctorat dirigée par Jean Arlaud (ethnologue et professeur émérite) qui sera soutenue demain dans une université parisienne, et dont j’ai du mal à déchiffrer le titre : […] jeux : une formule enfantine (?). Il n’en parcourra guère que l’introduction, déjà annotée par lui de quelques traits dans la marge.
– En allant chercher un café-vendu-au-prix-du-caviar, je repère encore une lectrice de Jo Nesbø, un lecteur de Terry Goodkind, une lectrice de Carl Hiaasen, un lecteur du Guerrier solitaire de Henning Mankell, un exemplaire d’Anna Gavalda en traduction allemande posé sur une tablette (Zusammen ist man weniger allein), et trois ou quatre autres lecteurs. Une malheureuse jeune femme se trouve assise au milieu d’un groupe de trois personnes en pleine réunion de travail, ordinateurs portables ouverts sur les genoux, et tâche de se concentrer sur son livre : Eine Nacht… quelque chose.
Paris
– Ligne 9, direction mairie de Montreuil. Une femme aux cheveux châtain, à la mine défaite, les yeux très cernés, lit Tea Time for the Traditionaly Built d’Alexander McCall Smith. Elle descend à Havre-Caumartin. À cette même station monte une dame corpulente qui ouvre Un cadavre de trop d’Ellis Peters. Elle lit en remuant les lèvres.
26 mars
– Ligne 9, direction mairie de Montreuil. Trois lectrices dans le wagon, une brune et deux rousses. La brune est captivée par un roman fantastique (?), Twilight… quelque chose. La rousse n° 1 lit un roman russe dont le nom de l’auteur finit par «…kikov » ou « …kilkov ». Assise sur un strapontin, la deuxième rousse, plus âgée, est plongée dans Seconde Fondation d’Isaac Asimov.
– Ligne 2, direction Nation, une jeune femme assise dans un coin du wagon lit Mon Faust de Valéry. Elle descend à La Chapelle avec son sac tissé multicolore.
– Ligne 11, direction Chatelet, un quinquagénaire portant un coupe-vent de marin ouvert sur un pull jacquard paraît fort apprécier 1984 d’Orwell. Il sort à République.
– Ligne 9, direction Pont de Sèvres, un moustachu au visage pointu, coiffé d’une casquette, feuillette le dernier numéro de la revue XXI. Montée à Miromesnil, une baba cool s’assoit sur un strapontin et ouvre le Chat du Kimonov de Nancy Peña.
27 mars
– Ligne 4, direction Créteil, deux lectrices se font face, une brune et une blonde. La dame brune lit en remuant les lèvres. Assis un peu plus loin sur son gros sac, un jeune homme s’absorbe dans un manga.
– Près de Beaubourg, à la terrasse couverte du restaurant Le père fouettard, un homme termine son café en lisant un roman de James Patterson.
– Ligne 10, direction Austerlitz, un jeune homme très propre sur lui, à la peau de bébé, vêtu d’un improbable complet bleu qui paraît sortir du pressing, lit Tristes Tropiques de Lévi-Strauss. Il me rappelle Adam Sandler dans Punch Drunk Love. Plus loin, sur un strapontin, une jeune femme est plongée dans le roman de Hugh Laurie, Tout est sous contrôle. Ils descendent tous deux à Jussieu. Dans l’intervalle, à Cardinal-Lemoine, est montée une ameugnonnante jeune femme, qui ouvre Down and Out in Paris and London d’Orwell, dans l’édition Essential Penguin. La fine mouche descend à Austerlitz et prend la correspondance de la ligne 4, en direction de la Porte de Clignancourt.
– Ligne 8, direction Créteil, une dame à la chevelure épaisse et très noire faisant contraste avec son extravagant manteau de tissu éponge orange vif, se délecte manifestement des Désarrois de Ned Allen de Douglas Kennedy.
28 mars
– Sur le quai de la station Grands Boulevards passe une dame aux cheveux gris, vêtue d’un manteau noir, et tenant en main une pièce de Brecht publiée aux éditions de l’Arche.
– Ligne 4, direction Créteil, une jeune femme en talons hauts vient de commencer Belle du seigneur d’Albert Cohen. Elle sourit.
– Une jeune femme fait les cent pas à Saint-Michel sur le quai de la ligne C du RER en lisant la Petite Folie d’Alexandra Lemasson. Elle embarque dans la rame en direction de Versailles.
29 mars
– Dans le RER qui nous ramène de Saint-Quentin à Paris, une jeune mère tente de lire la Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole. Elle est interrompue toutes les trente secondes par son bambin d’un an et demi qui joue avec une petite voiture.
– Sur le quai de la station Invalides, un homme poivre et sel, chaussures de montagnard et havresac au dos (on dirait une icône pour publicité exaltant la vie au grand air) lit le Dernier Coyotte de Michael Connelly.
– Deux lectrices côte à côte dans une rame filant en direction de Saint-Denis. La blonde peroxydée en ciré noir lit les Grands Maîtres des templiers d’Inès Nollier. La petite brune sérieuse, David Golder d’Irène Némirovsky.
– Ligne 4, direction Créteil, deux jeunes femmes en vis-à-vis. L’une est plongée dans le Dernier Templier de Raymond Khoury, l’autre range dans son sac Raison et sentiments de Jane Austen. Sur la banquette d’à côté, un monsieur moustachu portant des pantalons rayés blancs ouvre un petit livre d’initiation à la géopolitique qu’il lit consciencieusement, en remuant les lèvres presque mot à mot (c’est fou le nombre de gens qui lisent en remuant les lèvres).
– Un jeune homme descend l’escalier du métro Grands Boulevards en lisant un court Dostoïevski publié chez Babel. C’est si prenant qu’il s’arrête entre deux volées de marches pour terminer son chapitre.
– Ligne 8, direction Ballard. Une blonde menue descend à Opéra, tenant en main la Folle Allure de Christian Bobin. Un lecteur est assis sur un banc du quai, qui laisse passer la rame sans embarquer.
30 mars
– Un homme emprunte la rue de Chabrol d’un pas nonchalant, tenant un Folio à la main. Trop loin pour que je puisse lire le titre, et impossible à suivre avec mes bagages.
Dans le Thalys Paris-Liège
– Une blonde pincée lit Zimmer Nr. 10 d’Åke Edwardson.
– Posé sur une tablette, un exemplaire des Chroniques de l’oiseau mort de Haruki Murakami.
– Dans la voiture bar, une femme en pull rouge dévore un roman de Jean-Christophe Grangé.

Ce qu’ils lisent : carnet d’enquête.