Chambres





Lyon, Hôtel Le Boulevardier


samedi 1 février 2014 | Chambres | 3 commentaires


Discomanie

Tout un chacun s’y reconnaîtra.


Dessin de Robert Crumb piqué chez Bernard Camus.


lundi 27 janvier 2014 | Monomanies | 1 commentaire


Arno Schmidt





Le fichier ayant servi à l’élaboration de Zettels Traum. Cet « hyper-roman » demanda dix ans de travail à Arno Schmidt. Il décrit, en 1 330 pages de format A3 dactylographiées sur trois colonnes, les événements d’une journée d’été dans un petit village en multipliant les niveaux de lecture, les jeux de mots, les néologismes et les associations d’idées. Zettels Traum parut en 1970 sous la forme d’un fac-similé — la mise en page et la composition auraient coûté beaucoup trop cher.

Ceux qui auraient manqué sa diffusion mercredi dernier peuvent visionner sur le site d’Arte l’excellent documentaire d’Oliver Schwehm sur Arno Schmidt. Vivement recommandé.





Phrase qui mérite de passer en proverbe,
et qu’on se promet de resservir dorénavant à nos contradicteurs.

À tout seigneur, tout honneur, c’est Maurice Nadeau qui publia le premier Arno Schmidt en français. Christian Bourgois prit le relais. Depuis 2000, les éditions Tristram maintiennent vaillamment le flambeau. On en profite pour saluer le formidable travail du traducteur Claude Riehl.




La part de l’ombre




Diffusion le 17 janvier à 23 h 50 dans l’émission Court-circuit (Arte).
Sélectionné au Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand
(du 31 janvier au 8 février).

Entretien avec Olivier Smolders.


jeudi 16 janvier 2014 | Actuelles | 7 commentaires


Les boîtes fantômes de Joseph Cornell

Elles provoquent toujours l’émerveillement, les boîtes vitrées où Joseph Cornell composait autant d’univers miniatures en réunissant, avec un sens inné de la rencontre poétique, de modestes objets au fort pouvoir évocateur : pipes à bulles de savon, jouets abîmés, flacons et boules de verre, tiges de métal, coquillages et bois flotté, dés à coudre et à jouer, étiquettes d’hôtels, cartes du ciel, pages de livres déchirées, fragments de vieilles gravures et de photographies. Théâtre d’ombres enchanteur habité par l’esprit d’enfance, ses curiosités « scientifiques » (astronomie, ornithologie), son goût des séries et des tiroirs secrets, des collections d’objets trouvés soigneusement classés dans de petits compartiments ; musée imaginaire hanté aussi par l’image de femmes inconnues et inaccessibles, ballerines et starlettes de cinéma.

Le contraste est total entre le monde intérieur de ce rêveur solitaire et la simplicité sans éclat de son existence. Cornell habita pratiquement toute sa vie à Flushing, dans le Queens, avec sa mère et son frère invalide, une maison de bois blanche et bleue située — ça ne s’invente pas — dans Utopia Parkway. C’est dans le sous-sol de cette maison qu’il accumulait ses trésors et confectionnait ses collages et ses boîtes. Il vécut modestement de petits métiers, colporteur et dessinateur de tissus, représentant en réfrigérateurs, pépiniériste, plus tard graphiste à la pige pour divers magazines (Vogue, Harper’s Bazaar, House and Garden…). Le territoire de ce voyageur sédentaire n’excédait guère les limites de New York qu’il arpentait en tout sens en écumant les brocantes et les librairies d’occasion. Également féru de cinéma et grand collectionneur de films, il réalisa une douzaine de courts métrages, en premier lieu des collages de chutes de films hollywoodiens dénichées dans un entrepôt du New Jersey, puis des œuvres originales tournées avec le concours de Rudy Burckhardt, Stan Brakhage et Larry Jordan.

En attendant d’aller visiter l’exposition que lui consacre jusqu’au 10 février le musée des Beaux-Arts de Lyon, on reparcourt la monographie d’Édouard Jaguer (Filipacchi, 1988) et le livre attachant de Charles Simic, Alchimie de brocante (traduction de Daniel Canty, Le Noroît, 2010), évocation en forme de libre promenade qui marie prose et poésie à des extraits des journaux de Cornell.







mardi 14 janvier 2014 | Au fil des pages | 1 commentaire


What’s for pudding ?

On en apprend tous les jours à la BBC. Par exemple, que le mot pudding est une déformation de boudin. Le poding, apparu dans la langue anglaise vers 1300, fut donc une saucisse avant, devenu pudding, de désigner un dessert et de repasser dans la langue française — nouvel exemple des allers-retours fréquents entre les deux langues.

Cependant, selon d’autres étymologies, l’origine du mot serait plutôt à chercher du côté du bas-allemand (puddig) ou du westphalien (puddek). Qui croire ?


mardi 7 janvier 2014 | Choses anglaises | 2 commentaires


À la bibliothèque Sainte-Geneviève

Feuilletant les premières pages des Corps tranquilles de Jacques Laurent afin d’y retrouver, pour les besoins d’un article, un passage sur le métro parisien, je me surprends à replonger dans ce singulier roman-fleuve de 1 300 pages dont la lecture avait tant marqué mes quinze ans (au point de me faire commettre, vingt ans plus tard, un plagiat involontaire : je m’aperçois lui avoir emprunté dans une de mes nouvelles le nom d’un personnage, Monique Chardon, que j’étais convaincu d’avoir inventé). Roman unanimiste (on ne disait pas encore roman choral) situé en 1937, entrecroisant les parcours d’une quinzaine de personnages recrutés par un improbable institut de recherche et de vigilance contre le suicide. Œuvre proliférante au carrefour de l’ancien et du moderne, s’inscrivant dans la tradition du roman d’analyse à la française tendance Stendhal tout en s’adonnant à diverses expérimentations désinvoltes : narration panachée de monologue intérieur, pastiches et collages, essais de simultanéisme, digressions et vagabondages en tout genre. Pour Laurent (cf. son essai Roman du roman), le roman était le genre libre par excellence et il semble avoir eu à cœur d’en épuiser tous les possibles en ne se refusant aucun caprice, aucun plaisir : citer deux pages de son cher Dumas, s’attarder quelque temps auprès d’un personnage secondaire après qu’il a rempli sa fonction narrative, céder à l’ivresse de l’énumération en un morceau de bravoure anticipant Perec (extrait ci-dessous). On notera aussi sa prédilection à dépeindre les états flottants de la conscience, les rêveries d’avant le sommeil nourries d’associations d’idées, l’écheveau des manies, rituels, superstitions et mythologies intimes qui fondent l’existence de tout un chacun – et retiennent certains de ses personnages au bord de la folie douce : ainsi ce petit homme solitaire et tristounet de Toussaint Rose, statisticien obsessionnel qui tient un journal scrupuleux, se pèse et se photographie nu comme un ver tous les mois, et anime en pensée un conseil des ministres imaginaire arbitrant les grandes décisions de sa vie.

À la relecture, je me demande si Laurent n’a pas conçu les Corps tranquilles comme une riposte à la trilogie romanesque de son meilleur ennemi Jean-Paul Sartre, les Chemins de la liberté — laquelle, plombée par sa volonté démonstrative, paraît infiniment plus datée. Quoi qu’il en soit, si j’en juge par les quelques-uns de ses romans suivants qu’il m’est arrivé de lire ou de survoler, sa manière n’a pas tardé à s’empâter, et jamais il n’a retrouvé un tel bonheur d’écriture.

L’après-midi, à la bibliothèque Sainte-Geneviève, il avait regardé ce verger rectangulaire de têtes et d’épaules alignées selon le cordeau des tables. Parmi les nuques rasées et les épaules angulaires des garçons, les chevelures féminines coulaient sur des épaules arrondies. Combien de filles, là, aux jambes serrées, épelant Hegel, expertisant Kant, annotant Népomucène Lemercier, reconstituant la politique de la Maison d’Autriche, constatant la commune genèse sanscrite de l’adjectif « ambigu » et de l’adjectif « amphigourique », débattant de savoir si la lumière réclamée par Goethe était propre ou figurée, détaillant la reproduction chez les phanérogames vasculaires, jaugeant la politique des pourboires, reconstituant les équations de Lorentz, critiquant la loi des trois états, remontant l’évolution de la responsabilité juridique, discriminant les influences subies par Gérard de Nerval, s’initiant à la colère dans le traité de psychologie de Dumas, évaluant le raisonnement par récurrence, plongeant dans le théâtre élisabéthain, mettant au pas les carbures, lisant un livre de Jules Romains en attendant la camarade avec laquelle elle ira dîner, numérotant les perversions sexuelles de Baudelaire, apprenant la fonction glycogénique du foie, coupant les pages de la Nouvelle Revue française achetée, avec Votre beauté, au kiosque du Panthéon, pesant les planètes, soupesant les manuels, braquant les dictionnaires, révisant l’emploi de xv, résumant Freud, schématisant un glacier, jugeant Gladstone, retraçant la tradition érotique des conteurs en langue d’oïl, apprenant le cocuage de Musset, comptant les ressources de la Nouvelle-Guinée, mettant à sa place la théorie de la plus-value, embrouillant électrons et atomes, pensant donc étant, inventoriant le transformisme, commentant la loi de Mendel, expliquant Madame Bovary, réitérant la formation d’un delta, parallélant l’amour chez les héros de Racine et chez ceux de Hugo, effleurant le goût de Chateaubriand pour sa sœur, épluchant la constitution des États-Unis, traitant les acides, pelotant le radium, analysant le traité de Westphalie, rassemblant tout ce qui doit être su du pentamètre, pensant que le jeune homme au visage maigre-mat qui commente la Princesse de Clèves n’est pas venu s’asseoir à sa place habituelle, recensant les fonctions algébriques, délimitant l’emploi de « ut », déterminant les modalités du jugement, annotant la culture du colza, fichant le Décaméron, exposant les Bijoux indiscrets, esquissant la paléontologie du pied de cheval, explorant les sources du naturalisme, calculant l’angle d’incidence, rappelant la loi sur les successions, dessinant une amibe, supputant le processus de reproduction chez les mammifères, apaisant la querelle des Investitures, affranchissant l’esclave Proclus sous Caligula, supposant A fonction de B, prévoyant et punissant le faux et l’usage de faux, se fondant sur le traité de Verdun, motivant le quiétisme, dénouant le sentiment de Bérénice pour Titus, divisant en trois parties la rencontre d’Ulysse et de Nausicaa, légiférant les oscillations du pendule, relisant pour son plaisir les Contes de La Fontaine, rapportant impartialement la fureur d’Othello, additionnant les coalitions, fouillant le caractère du chlore, contresignant le traité de Paris, dépeignant Bussy-Rabutin, enrégimentant les intégrales, découpant Léonard de Vinci, reconnaissant le droit d’association, dépiautant Port-Royal, enquêtant à propos du théâtre sous la Terreur, pourchassant l’esprit du législateur, compilant les versions de Don Juan, énumérant les vertus des humanités, départageant les vrais Giorgione des faux Giorgione, vérifiant l’emploi du digamma, contrôlant la rareté des apax ! L’étudiant les avait contemplées, ces filles assises autour des tables, au milieu des garçons, ou debout à compulser le dos des livres sur les rayons, ou cheminant vers les w.-c.

Jacques Laurent, les Corps tranquilles (1948).


jeudi 26 décembre 2013 | Au fil des pages,Bibliothèques | 1 commentaire