De la listomanie considérée comme un moyen de vaincre l’insomnie

Vous savez combien les nuits peuvent être étouffantes à New York, au mois d’août, quand tout le monde en bave. […]
À une heure, j’avais pris une douche froide. Après quoi je m’étais récité la composition des six équipes de baseball parmi les huit formations nationales sélectionnées au début des années trente. À deux reprises, j’avais tenté de dresser mentalement la liste des pépées qui m’avaient honoré de leurs faveurs et, à présent, je passais en revue la nomenclature des armes portatives américaines les plus courantes. J’étais même allé jusqu’à allumer la lampe et j’avais lu pendant une demi-heure, mais en vain. Je continuais à mijoter dans mon jus. J’étais toujours éveillé ; je pensais toujours à elle. […]
Non. C’est une question que je ne me posais pas. Je ne souhaitais qu’une chose : trouver le sommeil. Je commençai l’énumération des joueurs qui composaient la ligne d’avant dans l’équipe des Chicago Bears en 1940 : Stydahar, Arteo, Fortman, Musso, Plasman, Turner, Bray, Wilson, Fortman… Mais n’avais-je pas déjà cité Fortman ? J’éprouvai presque du plaisir à entendre grelotter le téléphone.

David Markson, Épitaphe pour une garce (Série noire no 1510).


Les Chicago Bears en 1940


dimanche 6 mai 2007 | Grappilles,Monomanies | 3 commentaires


L’image dans le tapis

Dans les célèbres Ambassadeurs de Hans Holbein le Jeune, le crâne anamorphosé à l’avant-plan joue bien entendu le rôle d’un memento mori, suivant une pratique courante dans les portraits du temps. Mais j’ignorais qu’on pût y voir aussi une signature déguisée de l’artiste, Holbein signifiant littéralement « os creux ». L’hypothèse paraît plausible à Panofsky, dans la mesure où l’époque n’était pas moins friande de calembours visuels que d’anamorphoses (in Galilée, critique d’art, 1954 ; tr. fr. 2001, Bruxelles, Les Impressions nouvelles).


Le crâne désanamorphosé


vendredi 23 février 2007 | Grappilles | 2 commentaires


Néologisme

Faure a funesté par sa tristesse contagieuse cette époque de ma vie.

Stendhal, Journal, 26 février 1805.

Joli !


mardi 13 février 2007 | Grappilles | Aucun commentaire


Marqueterie

Pour Marie [Dormoy], Léautaud commence un journal, ce 13 janvier 1933. Pour cela, il se sert d’un support : un numéro de la Nouvelle Revue française (celui du 1er octobre 1932 fera l’affaire), et colle soigneusement des feuillets blanchâtres au recto et au verso des pages de la revue. Certes, on n’aura pas compris tout à fait Léautaud si on néglige l’aspect matériel de ses manuscrits ; et il y a de quoi rêver. Pour Léautaud, rédiger un double de lettre ou tenir un journal ne consiste pas à faire courir vulgairement sa plume d’oie sur le papier ; il faut d’abord, tout au long de la rédaction, construire le support ! Le simple mortel qui croit qu’en prenant du papier et une plume il écrit, se trompe. […] Une lettre prise en double, la tenue du journal exigent des dispositions particulières de la part de celui qui écrit. C’est ainsi que Léautaud se livre à un véritable travail de marqueterie sur certains de ses comptes rendus de journée ou sur certains doubles en collant des quantités de languettes très fines sur des expressions fautives ; il peut alors écrire à nouveau. Ou bien, il ajoute des bandelettes à d’autres bandelettes ; et alors on déroule le manuscrit comme un papyrus. Un double de lettre à Billy, par exemple, atteint un mètre de long (lettre du 16 février 1952) et se compose de dix-neuf bandes collées les unes à la suite des autres.

Edith Silve, Paul Léautaud et le Mercure de France.
Mercure de France, 1985.


dimanche 7 janvier 2007 | Grappilles,Monomanies | Aucun commentaire


Nos amies les bêtes

12 janvier 1914
Dîner hier soir chez Mme Cayssac, après la réunion de la SPA pour le ballotage de deux administrateurs. Dîner un peu de fête, avec du champagne. À ce moment, comme je ne pensais pas à trinquer et que j’allais boire, Mme Cayssac me dit : « Eh bien, vous buvez sans trinquer. Trinquez au moins à la santé des bêtes ! » J’approche aussitôt mon verre du sien, et de mon air le plus gracieux : « À votre santé, Madame. »

Paul Léautaud, Journal.


jeudi 4 janvier 2007 | Grappilles | Aucun commentaire


Le coffret du mois


Encore un que la modestie étouffe.


lundi 11 décembre 2006 | Grappilles | Aucun commentaire


Contribution à une Anthologie du métrage

(private joke à destination de trois personnes)

Un verrou coulissa à l’intérieur et la porte s’entrouvrit juste assez pour découvrir un métrage de tablier bleu, un nez pointu et un œil inquisiteur derrière une paire d’épaisses lunettes à double foyer.

Howard Browne, À la schlague !, Série noire n° 470.


dimanche 3 décembre 2006 | Grappilles | Aucun commentaire