Chambres


Paris, StayCity gare de l’Est


Paris, Hôtel de France gare de Lyon


dimanche 22 juillet 2018 | Chambres | Aucun commentaire


Facteur, montre ton zèle

À l’instar de Mallarmé 1, Fénéon pratiquait à l’occasion l’art de l’adresse en vers. L’édition de sa correspondance amoureuse avec la danseuse Suzanne Alazet, née Des Meules et dite Noura, reproduit vingt-six de ses « enveloppes rimées » datant des années 1930. Heureux temps où un pli ainsi libellé rejoignait son destinataire ! Les facteurs se piquaient manifestement au jeu, quitte à surcharger au besoin d’indications complémentaires les facétieux petits poèmes-adresses de Fénéon.

Quelques exemples :

Facteur obligeant, montre donc
Ton zèle, en me portant chemin de Mondredon
Trois cent soixante-treize, en la cité-merveille :
Marseille.
Où ça ? — Au bar du Petit Bleu,
Parbleu !

Cent deux, Perrin-Sollier, chez Madame Alazet,
À Marseille, facteur, déposez ce billet.

Dans la rue où Perrin-Sollier inscrit son nom,
À Marseille, cent deux, zèbre postal, arrête !
Car c’est là que sourit, dame de haut renom,
Suzanne Alazet dont la tête
Se nimbe d’un nuage blond.

Pas bien loin de la Camargue, au
Cent deux, Perrin-Sollier, Marseille, où vit l’émule
D’Atalante et de Camargo,
Bon facteur, descend de ta mule
Prompte comme un vent alizé,
Et remets ce factum à Madame Alazet.

À tire d’aile, ivre d’azur, bravant tout risque,
Ô lettre, envole-toi jusqu’à Marseille, puisque
Marseille est la cité fameuse que décore
Des Meules-Alazet, fille de Terpsychore.

Tu sais déjà, facteur, car ta mémoire est drue
Qu’à Marseille, madame Alazet gîte rue
Perrin-Sollier, cent deux. En conséquence, veuille
Laisser choir en ses mains charmantes cette feuille.

Chausse ton mocassin, ta botte ou ton patin
Et tu me porteras, facteur que rien n’étonne,
À Suzanne Alazet, Marseille (le Fortin),
Vingt-quatre du marin boulevard Brise-Bonne.

T’enfonçant, inflexible et prompt comme une dague,
Messager de Marseille, au cœur de la madrague
De Mondredon, — avise
Au trente-deux moins huit, boulevard Bonne-Brise,
La Bicoque où Noura
De ce papier trop lourd te désencombrera.

À Marseille, facteur, en dansant ton ballet
Sur le bois goudronné, l’asphalte ou le galet
Du côtier boulevard Bonne-Brise, dédaigne
Vingt-trois, vingt-cinq car c’est au vingt-quatre que règne
L’étoile d’Opéra Des Meules-Alazet
Dont l’œil est angélique et le sein sans corset.

1 Voir Vers de circonstance, Gallimard, « Poésie », 1996.

Félix Fénéon, Lettres & enveloppes rimées à Noura (Suzanne Des Meules). Édition établie par Joan Ungersma Halperin. Claire Paulhan, 2018.


samedi 7 juillet 2018 | Les loisirs de la poste | Aucun commentaire


Tardieu

Deux livres de l’enchanteur Tardieu dans une jolie petite édition datant du début des années 1950. Format : 14 x 19 cm. Le texte est composé en égyptiennes. Mon petit doigt me dit qu’il y a du Massin là-dessous.




Une collection vénitienne

Krzysztof Pomian 1 situe vers la fin du XVIe siècle – pour ce qui concerne la région vénitienne qui est son principal objet d’étude – l’émergence d’une ambition encyclopédique chez les collectionneurs. Jusqu’alors, les cabinets de curiosités vénitiens réunissaient des tableaux, des sculptures, des médailles, des antiquités – mais point d’objets naturels –, sans souci de constituer une représentation totalisante du monde. Un tel but n’apparaît qu’à la veille du XVIIe siècle. En témoigne notamment la collection de Federigo Contarini (1538-1613), l’un des premiers à avoir été mû par le désir de posséder des échantillons de toutes les catégories d’êtres et de choses : les antiquités, les tableaux, les statues, les médailles et les camées voisinaient dans sa collection avec des fossiles, des coraux, des cristaux, des minéraux, les cornes, les dents et les griffes de divers animaux.

À la mort de Contarini, sa collection fut léguée à Carlo Ruzzini (1554-1644), qui continua à l’enrichir et en fit l’une des plus importantes de Venise. Elle demeura propriété des descendants de ce dernier jusqu’à la fin du XVIIe siècle.

Plusieurs visiteurs en ont laissé des descriptions. Comme le remarque Pomian, « chacune [de ces descriptions] illustre les goûts et les intérêts de son auteur autant, sinon plus, que le contenu de la collection elle-même ». Boschini (1660) insiste sur les statues. Martinon (1663), sans négliger les tableaux et les médailles, s’intéresse surtout aux raretés naturelles. Spon (1675) s’arrête sur les agates, les médailles et les tableaux. Quant à John Evelyn, il est fasciné par les curiosités de toute sorte au point de ne pas voir les tableaux qui tapissent les murs.

Contemporain de Samuel Pepys avec qui il correspondait, Evelyn fut un essayiste abondant qui aborda les sujets les plus divers, de l’architecture à la bibliophilie en passant par la numismatique et la sylviculture. Il est, comme Pepys, l’auteur d’un journal devenu un classique outre-Manche, qui attend toujours sa traduction française.

Voici, citée par Pomian, sa description de la collection Contarini-Ruzzini :

Le jour de la Saint-Michel, je suis allé avec le lord Mowbray (le fils aîné de l’Earl d’Arundel et personne de la plus grande valeur) pour voir la collection d’un noble vénitien, Signor Rugini : il a un palais impressionnant, richement meublé, avec des statues et des têtes des empereurs romains placées dans une chambre spacieuse. Dans la suivante se trouvait un cabinet de médailles tant latines que grecques avec différentes coquilles curieuses dont deux contenaient deux belles perles ; mais y abondent surtout des choses pétrifiées, des noix, des œufs dans lesquels tremble le jaune, une poire, un morceau de bœuf avec des os dedans, un hérisson entier, un filet sur un cadre de bois tourné en pierre, et très parfait ; un morceau de liège gardant toujours sa légèreté, des éponges, gommes, une pièce de taffetas, en partie roulée, et d’innombrables autres choses. Dans un autre cabinet, soutenu par douze piliers d’agate orientale et incrusté de cristal, il nous a montré plusieurs nobles pierres gravées, des agates, particulièrement une tête de Tibère et une femme au bain avec son chien, quelques rares cornalines, onyx, cristaux, etc., dans un desquels il y avait une goutte d’eau qui n’était pas gelée mais qui visiblement bougeait vers le haut et vers le bas, quand on le secouait, mais surtout il y avait là un diamant qui contenait, croissant en lui, un très beau rubis. Il nous a montré ensuite plusieurs morceaux d’ambre dans lesquels se trouvaient plusieurs insectes, en particulier un, taillé en cœur, contenait une salamandre sans le moindre défaut – et plusieurs curieuses pièces de mosaïque. Ce cabinet était fabriqué d’une façon très ingénieuse : il était profond et décoré avec des agates, des turquoises et autres pierres précieuses au milieu desquelles il y avait un chien qui se gratte les oreilles, travail rare et ancien, et comparable aux plus grandes curiosités de ce genre que j’aie jamais vues à cause de la précision du travail. La chambre suivante avait un lit incrusté avec des agates, cristaux, cornalines, lapis-lazuli, etc., d’une valeur estimée à seize mille couronnes.

(1645)

1 Krzysztof Pomian, Collectionneurs, amateurs et curieux. Paris, Venise : XVIe-XVIIIe siècle. Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 1987.


samedi 23 juin 2018 | Grappilles | Aucun commentaire


Tiédeur et gel

[Elizabeth David et son mari Anthony] prirent l’incroyable train de montagne pour Darjeeling. Ils descendirent à leur hôtel et, tout étourdis par le voyage et l’altitude, se rendirent au bar où Tony commanda deux dry-martinis. Le barman fit l’habituel numéro de virtuose du shaker mais avoua à Tony qu’il n’y avait pas de glaçons : le réfrigérateur de l’hôtel était en panne. Elizabeth n’oublierait jamais ce dry-martini tiède, qu’ils burent en contemplant un paysage de neiges éternelles : les sommets glacés de l’Himalaya.

Artemis Cooper, Writing at the Kitchen Table.
The Authorized Biography of Elizabeth David
.
Michael Joseph, 1999.


mercredi 30 mai 2018 | Le coin du Captain Cap | Aucun commentaire


Chambres



Paris, Hôtel Little Regina


Montréal, Château de l’Argoat


Rosemont, 17e Avenue


mardi 29 mai 2018 | Chambres | Aucun commentaire


L’hélicoptère

L’Hélicoptère. Paroles et musique de Serge Gainsbourg, arrangement de Michel Colombier, belle interprétation de Mireille Darc. Cette chanson apparaît comme le pendant féminin du Talkie Walkie, qu’interprète Gainsbourg sur le magnifique album Confidentiel. Dans les deux chansons, le narrateur/la narratrice, un tantinet voyeur, épie à distance l’être aimé par le truchement d’un appareil (l’hélicoptère, le talkie walkie), lequel lui révèlera in fine sa déconvenue : l’être aimé le/la trompe avec un(e) autre. On sait, chez Gainsbourg, la place importante des objets du monde moderne, ce qu’un philosophe appellerait pompeusement la domination de la technique : l’auto-radio, le tourne-disque, l’appareil-photo, la machine à écrire portative…1 Dans l’Hélicoptère, le Talkie Walkie ou encore la Fille au rasoir (parfait instantané antonionien d’une minute quarante, à l’érotisme diffus, sur l’incommunicabilité au sein du couple), ces objets sont ce qui réunit et sépare à la fois les amants. Amour sans amour, dit une autre chanson.

1 On notera aussi chez Gainsbourg, comme chez Ian Fleming et Jean-Patrick Manchette, l’abondance des noms de marque : la voiture rapide est une Ford Mustang, le briquet un Zippo, l’appareil-photo un Rolleiflex, la machine à écrire une Remington, et ainsi de suite. Au sein des Trente glorieuses, avec des intentions très différentes (la dimension critique des romans de Manchette est rigoureusement absente de ceux de Fleming), ces trois auteurs ont chroniqué l’avènement du fétichisme de la marchandise. Pendant ce temps, Georges Perec écrivait les Choses.


samedi 5 mai 2018 | Dans les oneilles | Aucun commentaire