Vu, grâce au Cinéma de minuit de Patrick Brion, un Jacques Tourneur peu connu, Circle of Danger (1951). « Œuvre mineure et personnelle », écrivent Tavernier et Coursodon de manière expéditive. Personnelle, assurément ; « mineure », sans doute, par rapport aux productions de Val Lewton, mais néanmoins supérieure à des films plus réputés tels que The Fearmakers. Et d’ailleurs, qu’est-ce qu’une œuvre mineure ? Ou plus exactement : où situer, évaluer l’ambition, la réussite d’un film ? Doit-on la rapporter à son sujet (au risque de ressusciter la vieille critique scolaire de contenu) ? À sa mise en scène ? Au parfait ajustement de ses moyens et de ses fins ? Soit deux films de Paul Thomas Anderson. Entre Magnolia, film choral à grrrrand sujet emphatique et pontifiant jusqu’à l’insupportable, et Punch Drunk Love, film à petit sujet constamment inventif et merveilleusement déconcertant dans son mélange de genres et de tons, quel est réellement le plus ambitieux, le plus singulier des deux ? En tout état de cause, pour en revenir à Tourneur, Circle of Danger opère sans effort apparent la fusion impalpable de la narration, des réflexes d’acteurs, du décor et de la Stimmung, dans un film souvent surprenant dans ses méandres, et captivant de bout en bout.
Après la guerre, Ray Milland enquête en Angleterre sur les circonstances suspectes de la mort de son frère durant le débarquement de Normandie. Il se heurte à une conspiration du silence, jusqu’à la révélation de la vérité qui n’est bien entendu pas celle qu’on imagine.
Le film est l’histoire d’un dépaysement, où notre position de spectateur épouse celle du protagoniste américain, évoluant dans un pays inconnu, en terrain miné, en traversant à tâtons une série de milieux et de strates sociales, entre Londres, Birmingham, le pays de Galles et les Highlands. On est épaté comme toujours par la simplicité désarmante avec laquelle Tourneur parvient, sans effets de manche, au moyen d’un découpage classique, à instiller un climat de danger latent, un sentiment de doute et d’instabilité, qui sourdent des décors, des situations les plus ordinaires. Comment diable fait-il 1 ? Parallèlement à son enquête, Milland noue une idylle avec une jeune Anglaise (Patricia Roc, excellente). Et là, chapeau au dialogue du romancier-scénariste Philip McDonald, aux mises en place de Tourneur, à la finesse des comédiens, qui donnent un charme fou à ce flirt embarrassé, constamment contrecarré par des malentendus, des retards involontaires, des incidents inopinés. Il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour me faire affirmer qu’il s’agit là d’une des plus belles cours amoureuses de l’histoire du cinéma, avec celle de People Will Talk de Joseph Mankiewicz.
1. Comment diable fait-il ? C’est une vraie question, à laquelle seule une patiente étude plan par plan, une écoute attentive de la bande-son permettraient, peut-être, de répondre. Chose certaine, il est beaucoup plus aisé de démonter comme un meccano un film aux partis pris formels ostensibles (qu’il soit signé Straub-Huillet ou Peter Greenaway) que de mettre le doigt sur la manière dont s’y prend Tourneur pour faire lever l’inquiétude au sein d’une séquence. Rien ne se laisse plus difficilement analyser que la trompeuse simplicité.
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