Ce qu’ils lisent

23 juin
Liège
— Devant la gare des Guillemins. Dans sa guérite, le préposé à la vente des cartes de bus lit un roman d’espionnage vieillot de Georges Pierquin, 40 Hommes, 1 cargo, publié aux Presses noires, dont la couverture rappelle les Fleuve Noir des années 1960.

24 juin
— Gare des Guillemins, quai no 3, huit heures du matin. Une jolie blonde farfouille dans son sac et en tire The Book of Illusions de Paul Auster. Survient une brune en robe noire tenant à la main les Déferlantes de Claudie Gallay.

29 juin


— Gare des Guillemins, quai no 3. Une lectrice de l’Invitée de Fontenay de Frédérick d’Onaglia et une autre de la Consolante d’Anne Gavalda.
Dans le train Liège-Bruxelles
— À mes côtés, un trentenaire blond lit un roman allemand. De biais derrière nous, une jeune femme semblant sortie d’un film des années 1920 est plongée dans les œuvres d’Herman Hesse, collection Bouquins. Devant moi, une brunette lit In tenebris de Maxime Chattam.
Bruxelles
— Métro Arts-Loi, direction Gare de l’Ouest. Un lecteur de Patricia Cornwell.

— Deux lectrices Gare centrale, mais le titre de leurs livres se dérobe à tous mes coups d’œil.
Liège
— Gare des Guillemins, quai no 2. Une jeune femme descend du train tenant Dans la main du diable d’Anne-Marie Garat.

30 juin
Dans le train Liège-Bruxelles


— Une trentenaire brune s’initie aux Us et Coutumes russes.
— La jeune femme blonde en face de moi lit la Première Nuit de Marc Levy — sans doute l’auteur le plus souvent cité dans cette rubrique, hélas. Quant à ce que lit l’autre jeune blonde assise à ma gauche de l’autre côté de l’allée centrale, impossible de le savoir.
Bruxelles
— Gare du Nord. Planté au milieu du passage souterrain, un grand type lit Mes étoiles noires de Lilian Thuram, indifférent à la foule des voyageurs pressés qui le contournent pour gagner la sortie
— Dans le métro, un homme debout en équilibre instable lit un livre grec.
— Sur le quai du métro Arts-Lois, une dame en blanc passe en coup de vent tenant en main un roman de Katherine Pancol, avec un doigt en guise de marque-page. On n’a pas pu lire le titre, mais on a reconnu la maquette d’Albin Michel.


— Gare centrale, assise au bas de l’escalier conduisant aux quais nos 3 et 4, une brune frisée en robe blanche est plongée dans Purge de Sofi Oksanen.
— Sur le quai no 3, un quinquagénaire corpulent portant des lunettes de soleil (dans une gare souterraine ??) lit un volume de fantasy, The […] Legion.
Dans le train Liège-Bruxelles
— À Bruxelles-Nord, monte une jeune femme blonde en robe à fleur qui s’installe en face de moi et ouvre Der Duft der Erinnerung de Deana Zinssmeister.
— À notre gauche, de l’autre côté de l’allée, une dame lit un énorme roman à couverture bleue, qu’elle met de côté lorsque s’éveille l’amie qui lui fait face.

1er juillet

— Et celles-ci, que lisent-elles ? Mystère.


vendredi 2 juillet 2010 | Ce qu'ils lisent | Aucun commentaire


La listomanie est une maladie contagieuse

On est presque jaloux de n’avoir pas eu l’idée avant lui. Au hasard de ses pérégrinations dans les supermarchés, Philippe Billé a entrepris de collecter les listes de courses abandonnées. Il en a tiré un livre dont l’Éditeur singulier nous apprend l’existence et qu’il commente impeccablement ici. Inutile d’ajouter que je me suis empressé de le commander.

Plus chic, Liza Kirwin, conservatrice des manuscrits au Smithsonian’s Archives of American Art, a réuni dans Lists une septentaine de notes, pense-bête, inventaires, listes d’adresses, de livres à lire, de choses à faire… de la main de grands artistes du XXe siècle tels que Picasso, Calder, Cornell, Kline et de Kooning. Nous devons cette fois l’information à un billet joliment illustré de Richard Weston, et l’on peut également aller lire ici la présentation de l’éditeur.

 


jeudi 1 juillet 2010 | Monomanies | 2 commentaires


In cauda venenum

Paulhan derechef, et sa brièveté légendaire. À partir de mars 1937, la Nouvelle Revue française proposa à la fin de chaque livraison un bulletin des événements, des livres et des spectacles. La rubrique était tantôt anonyme et tantôt signée Jean Guérin — alias Paulhan lui-même, qui avait comme on sait le goût du secret, des masques et de la mystification1. La concision lapidaire de ces brèves et leur ironie à froid doivent beaucoup, ce me semble, à notre cher Fénéon, auquel Paulhan consacrera en 1943 un essai fondamental, F.F. ou le Critique (repris cinq ans plus tard en préface à un volume d’Œuvres de Fénéon ; réédité en 1998 par Claire Paulhan, cette femme admirable, avec un important dossier critique).

Comme chez l’auteur des « Nouvelles en trois lignes », un fait parfaitement épinglé, en l’absence apparente de tout commentaire, devient en soi un commentaire. Par exemple dans cette brève, qui date de septembre 1937 :

Berlin. On fête la vente du trois millionième exemplaire de Mein Kampf, qui est en Allemagne le plus répandu des cadeaux de noces.

Et, comme Fénéon (voir ici), Paulhan est passé maître dans l’art de la dernière petite phrase assassine :

La mythologie pour tous, le donjuanisme petit-bourgeois, la philosophie première, l’apothéose d’un immonde crémier, ce sont autant de sujets que Jean Dutourd traite, dans un style élégant, avec éclat, abondance, désinvolture. Avec succès. Et quoi de plus ? On souhaite timidement qu’il ait un jour quelque chose à dire qui lui tienne à cœur.

Mais ce qui a rappelé Jean Guérin à mon bon souvenir, c’est ce « Bulletin » publié dans la livraison d’août 1938 de la N.R.F. (premier numéro paru après les accords de Munich), et reproduit en annexe à la correspondance Leiris-Paulhan (Claire Paulhan, 2000) dont j’achève la lecture. C’est un pense-bête pour se rappeler qu’il serait grand temps d’acquérir le choix des chroniques de Guérin proposé en deux volumes aux éditions des Cendres.

LES ÉVÉNEMENTS
Leningrad. Du 21 au 28 septembre, interdiction de prier pour la paix (d’après l’Osservatore romano).
Munich. Par les accords de Munich, la paix est sauvée. La paix dans ce qu’elle a de plus plat et de plus périssable.
Paris. Les tailleurs répandent le slogan : la paix nous donnant la joie de vivre, l’on s’habillera en clair cet hiver.
Paris. Il est question d’élever un monument à la Tchéco-Slovaquie martyre. L’on peut douter si les Tchèques attendaient de nous tant de prix et de statues.
Leipzig. L’une des nouvelles rues de Leipzig s’appelle Rue des Sudètes. Une autre Rue de la Sarre. Une autre encore Rue d’Alsace.
Berlin. Tout Israélite, porteur d’un prénom aryen, s’appellera dorénavant Israël, ou Sarah.

LES LIVRES
E. LUDWIG : la Nouvelle Sainte-Alliance (N.R.F.). — C’est l’alliance que formeraient les trois démocraties de l’Angleterre, de la France et des États-Unis. M. Ludwig nous assure qu’elle empêcherait à jamais la guerre. Peut-être.

SPECTACLES
AU THÉÂTRE SAINT-GEORGES : Duo, de Paul Géraldy. — Du roman manqué mais « nature » de Mme Colette, Paul Géraldy a tiré trois actes brillants, en trompe-l’œil. C’est un civet transformé en soufflé.

 

1. En fait, il semble que ce soit plus compliqué et que jusqu’à 1953, le pseudonyme ait servi parfois à d’autres auteurs. Quoi qu’il en soit, les extraits proposés ci-dessus portent incontestablement la griffe (c’est le cas de le dire) de Paulhan.


vendredi 25 juin 2010 | Au fil des pages | Aucun commentaire


Ce qu’ils lisent

16 juin
Dans le Thalys Liège-Paris
— Ma voisine, une brune vêtue d’un complet bleu ligné, lit Die Dynamischen Gesetze des Reichtums de Catherine Ponder. Nous faisons un brin de causette. C’est une franco-lusitanienne polyglotte établie à Bonn, où elle exerce un de ces emplois mystérieux de consultante en entreprise. Elle s’adonne aussi à la peinture, a exposé à quelques reprises et vient d’illustrer un livre pour la jeunesse d’un auteur turc.
— Une jeune femme châtain bouclée revient s’asseoir et reprend le roman qu’elle avait laissé sur son siège, Unser Allerbestes Jahr de David Gilmour, à couverture bleu ciel.
— Autre couverture bleu ciel, celle du livre qu’a posé sur sa tablette un moustachu poivre et sel, et dont le titre se termine par für Allen.
— À Bruxelles monte une dame tenant en main The Girl With the Dragon Tatoo de Stieg Larsson.
— Couverture jaune tapant à lettres rouges, c’est Pygmy de Chuck Palahniuk, que lit un adolescent.
Paris
— Sur le quai de la Gare du Nord réservé aux Thalys, un jeune homme blond en complet bleu est plongé dans Un taxi mauve de Michel Déon.
— Place Saint-Michel, une jeune brune à lunettes vêtue d’un polo marin attend le feu vert en lisant l’Âne d’or d’Apulée.
— Un couple de quinquagénaires assis à la terrasse du Danton. Sur leur table, l’Homme symbiotique de Joël de Rosnay.
— À la Boucherie roulière, rue des Canettes, un barbu en complet gris arborant un livre de Jean-Christophe Ruffin entre à 20 h 50 et rejoint ses amis déjà attablés.

18 juin
— Dans le métro, direction Porte d’Orléans. T-shirt noir et barbe de trois jours, un trentenaire lit The Penguin History of New Zealand de Michael King. Dans le wagon d’à côté, un lecteur de Stefan Zweig.
— Correspondance direction Gare d’Austerlitz. Une lectrice entreprend de Comprendre la Chine aujourd’hui sous la houlette de Jean-Luc Domenach.
— Le soir vers 22 heures, direction Porte de Clignancourt, un barbu ténébreux tient entre les mains Dans la chaleur vacante d’André du Bouchet. Plus loin, une vieille dame — manteau mastic, foulard coloré — lit J’habite en bas de chez vous de Brigitte en remuant consciencieusement les lèvres. Aux Halles, monte un jeune homme à queue de cheval qui ouvre un polar d’Ian Rankin.

21 juin
Dans le Thalys Paris-Liège
— Une executive woman en tailleur apprend avec Jean-Pierre Coffe comment Recevoir [ses] amis à petit prix.
— Une brune frisée lit les Âmes vagabondes de Stephenie Meyer.


mercredi 23 juin 2010 | Ce qu'ils lisent | 1 commentaire


Chambres


Paris, Hôtel Bellevue et du Chariot d’or, côté cour, juin 2010.


mardi 22 juin 2010 | Chambres | 4 commentaires


Un des noms de l’attention

Édition originale (Minuit, 1951), acquise au Port de tête pour une dizaine d’euros. Paulhan a passé sa vie à semer des bombes à retardement, sous la forme de textes brefs, intempestifs, d’apparence limpide, et dont le sens pourtant mystérieusement se dérobe au moment où l’on croit s’en saisir. On avance en confiance, bercé par le ton aimable et modéré, les hésitations et les repentirs feints d’un causeur de bonne compagnie ; on ne voit rien venir et puis c’est trop tard : ce diable d’homme a retourné quelques vérités premières comme des gants et vous a tiré le tapis de sous les pieds.

L’ironie est sa seconde nature. Dans Petite Préface à toute critique, elle s’insinue dès l’avant-propos, qui annonce « trois excuses à ce livre », mais n’en formule que deux. (Fausse distraction : la troisième surviendra quelques chapitres plus loin.) En une centaine de pages, Paulhan se collette une fois encore avec son cher sujet, celui qu’il n’a cessé de triturer en l’envisageant chaque fois sous un angle différent, de Jacob Cow le pirate aux Fleurs de Tarbes : les équivoques du langage, le rapport problématique du mot et de l’idée, du signe et de la chose signifiée. Il le fait à sa manière sinueuse mais sûre, comme un chat matois qui fait patte de velours — mais la griffe est au bout. (Sartre en fait notablement les frais.)

[…] Car le poète ou le prosateur ne compose pas son œuvre sans se régler sur certains choix ou préférences, qui forment à la longue la raison et comme l’armature secrète du poème ou du roman. Tantôt les choix sont préparés de longue date, et tantôt subits. Mais que ce soit en dix ans ou en deux heures, la grande part du travail d’un auteur se passe en repentirs et retours, corrections, vérifications, retouches. D’un mot, en critiques — ai-je dit secrètes ? Elles ne le sont guère en tout cas de nos jours, où l’on ne trouve point de création qui ne se double d’un système critique. Observez plutôt Valéry, Proust, Gide, Claudel, Joyce, Breton, Sartre, et les autres : une bonne moitié de leur œuvre se dépense à prouver qu’ils ont eu raison d’écrire l’autre moitié.

[…] Or nous n’arrêtons guère plus haut d’évaluer les opinions, les propos, les événements mêmes, qui viennent à notre portée — et les hommes du même coup. Qui prononce sur la question sociale et la situation politique, ou décide seulement si le fond de l’air est chaud ou froid, fait de la critique, comme il fait de la prose, sans le savoir. Ce qu’on appelle penser, c’est à tout moment choisir, jauger, distinguer le vrai du faux et le valable du médiocre. Critique est l’un des noms de l’attention.


dimanche 13 juin 2010 | Au fil des pages | Aucun commentaire


Verroterie

On ne se l’explique pas, c’est comme ça. Les armoires ont beau déborder, le vendredi matin à la brocante, impossible de résister à l’appel du verre coloré.



vendredi 11 juin 2010 | À la brocante,Monomanies | 1 commentaire