Comment on écrit l’Histoire

Après avoir essuyé le refus d’une douzaine de réalisateurs, sa chance fut d’accepter le scénario de M*A*S*H* (1970), que lui propose le producteur Ingo Preminger.

Michel Ciment, Dictionnaire du cinéma. Larousse
(la syntaxe est curieuse).

La même année, il réalise M*A*S*H* (M.A.S.H.), que paraît-il quatorze autres metteurs en scène ont refusé avant lui.

Jean-Loup Bourget, Robert Altman. Edilig.

Après une série de démarrages avortés, un triomphe commercial d’autant plus spectaculaire qu’il était inattendu (le scénario avait été refusé par une quinzaine de metteurs en scène).

Jean-Pierre Coursodon / Bertrand Tavernier,
50 ans de cinéma américain. Omnibus, p. 274.

Un succès inattendu qui révèle un réalisateur pratiquement inconnu, Robert Altman (il accepta un scénario de Ring Lardner Jr. refusé par 32 metteurs en scène).

Jean-Pierre Coursodon / Bertrand Tavernier,
50 ans de cinéma américain. Omnibus, p. 95.


mardi 15 juillet 2008 | Grappilles | 5 commentaires


Hantises et malédictions

Ah mais la belle revue que voilà, remplie d’excellentes choses ! C’est la livraison annuelle du Visage vert qui, passé le pont, s’avance à notre rencontre, vêtue d’élégance anglaise, avec son cortège d’esprits vengeurs, de tableaux hantés et de malédictions. Depuis sa création, ce Visage-là cultive le fantastique et l’étrange du romantisme à nos jours, exhume des auteurs inconnus, méconnus, négligés, oubliés à des degrés divers, ou encore des textes inédits d’écrivains plus fameux, proposés dans des traductions sûres.

On ira donc ici de découverte en ravissement. À commencer par Ralph Adams Cram (1863-1942), architecte américain artisan du gothic revival et nouvelliste de grand talent, admiré à raison de Lovecraft. Dans un cadre montagnard, la Vallée morte fait lever l’épouvante comme une nappe de brouillard, avec une force d’incarnation digne de Stevenson. Tout aussi prenant, N° 252, rue Monsieur-le-Prince marie les thèmes de la succube et de la maison hantée au sein d’un réseau complexe d’allusions littéraires. Vivement la parution en français d’un recueil de Cram.

Le motif de la succube, alors très à la mode, inspira à Jules Bois (1868-1943), féru de satanisme et d’occultisme, un plaisant conte à l’écriture fin de siècle – style qui nous semble aujourd’hui presque sa propre parodie ; et tout son charme réside dans ce presque. À propos de cet auteur, ne résistons pas au plaisir de citer cette perfidie d’Alphonse Allais :

Jules Bois ayant dernièrement écrit, dans le Courrier français, un bel article (orné d’un portrait) où il exaltait les talents et les vertus de Jean Lorrain, Jean Lorrain a écrit cette semaine, dans le même Courrier, un bel article (orné d’un portrait) où il exalte les talents et les vertus de Jules Bois.
Ces gens-là finiront par se blesser avec leurs encensoirs.

(Le Chat noir, 7 mars 1891)
[toute ressemblance avec notre époque…]

François Ducos rappelle à notre bon souvenir l’existence du Sâr Dubnotal, psychagogue enturbanné et détective de l’étrange modelé sur la silhouette de l’ineffable Joséphin Péladan, qui fut le héros d’un feuilleton populaire de Norbert Sevestre (1879-1946), publié en fascicules en 1909 sous d’alléchantes couvertures.

Hermann Wolfgang Zahn (1879-1965), neurologue et nouvelliste allemand, ami de Kubin, s’empare, dans Histoire d’un tableau, d’une série de thèmes classiques (gémellité et dédoublement, portrait hanté qui se met à vivre sa vie propre, réincarnation et circularité du temps) et parvient à les conjoindre d’adroite et troublante manière.

Du côté des contemporains, la revue propose une nouvelle d’Anne-Sylvie Salzman, Mémoire de l’œil, d’une fort belle écriture, qui donne envie d’aller voir ses deux romans publiés chez Corti et Joëlle Losfeld.

Peu sensible à l’univers de Jean Cassou, j’ai en revanche été subjugué par les deux nouvelles de Leopoldo Lugones (1874-1938). L’écriture luxuriante, décadente de la Pluie de feu fait surgir la vision apocalyptique, néronienne, d’un déluge de cuivre incandescent s’abattant sur une ville intemporelle. Sous l’emphase sublime court une ironie perceptible aussi dans la Statue de sel, conte d’inspiration biblique qui finit en canular. Quel écrivain !

Au sommaire encore, une atroce histoire de monstre de Bulwer Lytton, à la fois sarcastique et romantique. Le numéro se conclut par une « carto-nouvelle » de François Ducos et Gérard Dôle, où des fragments d’un récit d’Algernon Blackwwod se voient illustrés avec des cartes postales d’époque. Il fallait y penser, et le résultat ne laisse pas d’être dispensateur de charme.

La plupart des ensembles de textes sont accompagnés d’études critiques sur leurs auteurs. Certaines m’ont paru longuettes, mais toutes sont solidement documentées et riches en informations factuelles. Redisons enfin combien la revue est composée et mise en page avec un soin dans l’élégance qui achève d’en faire l’attrait.

Le Visage vert n° 15, juin 2008. Zulma.


jeudi 10 juillet 2008 | Au fil des pages | Aucun commentaire


Art poétique

Mais vous savez qu’en ce qui me concerne, je ne désire pas écrire beaucoup, c’est-à-dire laisser une œuvre abondante, ni surtout de longs ouvrages, qui prennent aux lecteurs trop de temps. Faire autrement, c’est se résigner à n’être lu que pendant un demi-siècle, un siècle au plus. Combien de lecteurs aura Richardson au XXIIe siècle ? Sûrement George Eliot et W.M. Thackeray en auront davantage. Et qui entreprendra la lecture de l’Astrée ? Et pour plusieurs autres raisons je crois qu’il faut écrire aussi court et aussi peu que possible. J’ai toujours rejeté avec soin, et plus que jamais je rejette, ce qui ne me tente pas assez pour que ma paresse soit vaincue par mon désir.

Valery Larbaud, lettre à A.A.M. Stols du 27 octobre 1931
(correspondance publiée par les éditions des Cendres, 1986)


jeudi 3 juillet 2008 | Grappilles | Aucun commentaire


Fièvre au marais

Folio vient de rééditer l’une des perles de la Série noire des années 1970, La bouffe est chouette à Fatchakulla du mystérieux Ned Crabb, journaliste dont ce fut hélas la seule incursion dans le roman noir. Le comté de Fatchakulla est un trou perdu de la Floride profonde et superstitieuse, peuplée de tarés consanguins, d’hurluberlus pittoresques et d’un inquiétant bestiaire. Il fait moite à crever, les marais grouillent d’alligators, on trompe l’ennui par de colossales bitures. Jusqu’à ce qu’une vague de meurtres horrifiques, avec cadavres en morceaux dispersés à tout-va, secoue ce petit monde. Dans le genre polar truculent chez les péquenauds, on n’a rien écrit de plus boyautant depuis le classique Fantasia chez les ploucs de Charles Williams et Je suis un sournois de Peter Duncan. Pour ajouter à la drôlerie de la chose, l’ouvrage est émaillé de références décalées à Sherlock Holmes, on ne peut plus incongrues dans le contexte (le détective amateur du coin taquine le banjo plutôt que le violon et carbure à la bière plutôt qu’à la cocaïne; son Watson est un vétérinaire qui endosse à l’occasion la fonction de médecin légiste). Et, contrairement à ce qui advient souvent dans ce genre de polar borderline, l’intrigue tient la route et la chute est à la hauteur des prémisses. Si vous manquez de lecture pour l’été, ne le loupez pas.

Ned Crabb, La bouffe est chouette à Fatchakulla. Traduction de Sophie Mayoux. Gallimard, Folio policier n° 515, 2008, 266 p.


mercredi 2 juillet 2008 | Rompols | Aucun commentaire


La poésie ce matin (3)

LES VILLES SONT UNE

C’est en passant
par la rue Delcourt
que j’ai découvert la Mouffe ;
un passage public cachait l’Atlantique
et les anciens faubourgs de Montréal
dormaient sous la montagne Sainte-Geneviève.

Dans mon rêve,
il y avait un musée entre
42nd Street et le Boul’Mich
et nous avons fui Manhattan
pour errer près des jardins du Luxembourg.

Au petit matin, en passant
près de la gare du Nord,
la rue du Faubourg-Poissonnière
menait aux Trois-Pistoles,
et le traversier attendait
pour descendre sur Barcelone.

La mer est belle :
partons.

Maxime Catellier, Bancs de neige.
L’Oie de Cravan, 2008.


vendredi 27 juin 2008 | La poésie ce matin | Aucun commentaire


Ce qu’ils lisent

18 juin
Dans le Thalys Liège-Paris
– Le pénible couple à ma droite cesse enfin de m’infliger sa conversation. Elle ouvre Le soleil s’est levé à Assise d’Éloi Leclerc, et lui, son ordinateur portable. Un peu plus tard, il montre tout fier à sa compagne le beau Powerpoint qu’il a réalisé en vue d’une conférence sur la dynamique de groupe ou une couillonnade de ce genre.
– La bondieuserie a la cote dans ce wagon puisqu’à quelques rangées de là un homme médite sur Psaumes nuit et jour de Paul Beauchamp.
– Un adolescent a dépassé la moitié du premier volume d’Eragon, de Christopher Paolini. Une très jolie jeune femme coiffée d’un bob espiègle lit les inoxydables Allumettes suédoises de Robert Sabatier. Une autre femme a posé Holding the Dream de Nora Roberts sur sa tablette.
– Derrière moi, un homme s’absorbe dans l’introduction de l’Aliénation : vie sociale et expérience de la dépossession, de Stéphane Haber. Il y est question de « sauver un concept malade ».

Paris
19 juin
– Dans le métro, direction Porte d’Orléans, trois femmes lisent respectivement l’Oiseau bleu de Maeterlinck, la Promesse de l’aube de Romain Gary et Parce que je t’aime de Guillaume Musso.
– Dans un autre métro en route pour Pont de Sèvres, une autre femme arbore Merde, actually de Stephen Clarke.

20 juin
– L’art du contraste. À Strasbourg-Saint-Denis, entre un jeune cadre en costume cravate, qui ouvre Gel de Thomas Bernhard.
Non loin de là, une dame assise se pénètre des préceptes d’un Guide pratique de médecine tantrique.

21 juin
– Les correspondances. Elle porte des lunettes, un petit haut à fleurs et se tient debout dans une rame qui roule en direction de la Porte d’Orléans. Au téléphone, elle apprend tardivement le décès d’une lointaine connaissance et n’en revient pas. À son bras, Ensemble, c’est tout d’Anne Gavalda. La scène et la fille semblent sorties du livre.

22 juin
– L’art du contraste (suite). Dans le métro, direction Porte de Clignancourt, un homme au front dégagé, aux cheveux rejetés en chignon sur la nuque, portant un tee-shirt « gothic », lit la Part de l’autre d’Éric-Emmanuel Schmitt.
Assis dans le même wagon, un monsieur dégarni à barbe blanche est plongé dans Confession d’un cardinal d’Olivier Le Gendre.
– Les correspondances (suite). Devant la gare du Nord, une jeune fashion victim hâlée, lunettes de soleil sur la tête, petit haut ajusté, pantalons mi-mollets et tennis roses, cigarette blonde et téléphone portable en main, tient sous le bras Lipstick Jungle de Candace Bushnell.
Dans le Thalys Paris-Liège
– L’une des un million de lecteurs de l’Élégance du hérisson de Muriel Barbery a pris place à bord. C’est une jeune blonde vêtue de noir.
– Le père lit Même le mal se fait bien de Michel Folco ; son épouse, la Bâtarde d’Istanbul d’Elif Schafak. Leurs deux garçons jouent avec leur gameboy.
– Un homme disparaît dans A Brief History of Time de Stephen Hawking, qu’il tient à un centimètre de ses lunettes.
– Une jeune femme a ouvert les Poésies de Victor Hugo, dans la collection Nelson. Plus âgée, sa voisine en vis-à-vis abandonne la Maison aux esprits d’Isabel Allende pour se rendre aux toilettes.


lundi 23 juin 2008 | Ce qu'ils lisent | Aucun commentaire


Chambre ‘pataphysique


Paris, Hôtel Jarry, juin 2008

En novembre 1897, rapporte Noël Arnaud, Alfred Jarry s’installa dans un logis exigu, au « deuxième et demi » d’un immeuble de la rue Cassette. Deuxième et demi, car le propriétaire, du genre marchand de sommeil, avait coupé en quatre, dans le double sens de la surface et de la hauteur, l’appartement du deuxième étage, quadruplant ainsi la valeur locative de son bien. « En scindant en deux dans le sens horizontal l’appartement du second étage, très haut de plafond, on a créé un vrai second étage, de dimensions normales, et un second et demi, ou faux troisième, très bas de plafond » (1,65 m). Jarry, heureusement pour lui, mesurait 1,61 m – mais ses visiteurs étaient tenus de courber l’échine pour circuler dans ce quart de logement.

Nul doute, donc, qu’il se serait trouvé plus qu’à son aise dans l’hôtel au confort spartiate qui porte son nom, en cette chambre du cinquième étage sans ascenseur, où l’on ne fournit pas même le savon. Et peut-être, dans ce dernier détail, faut-il voir un hommage involontaire de plus à l’auteur d’Ubu roi, qui professait comme on sait une sainte horreur de l’eau, « ce liquide si abrasif et dissolvant qu’on s’en sert pour les lessives et que, lorsqu’on le mêle à un liquide pur, l’absinthe par exemple, celui-ci se trouble » (cité de mémoire).


lundi 23 juin 2008 | Chambres | 4 commentaires