Chambres


Ocean Park (Maine)


vendredi 10 août 2007 | Chambres | 2 commentaires


Aptonymie


Liège, en promenade avec BC & BC.


lundi 6 août 2007 | Pérégrinations | 1 commentaire


Westlake rides again

On en a tous rêvé, c’est arrivé à Josh. Un beau matin, il reçoit par la poste un chèque de 1 000 $ d’une compagnie qu’il ne connaît ni d’Ève ni d’Adam. Le mois suivant, rebelote, et pareil les mois d’après, et comme ça durant sept ans, sans explication. L’adresse d’expédition est incomplète sur l’enveloppe, il n’y a jamais de réponse quand il cherche à joindre ces gens au téléphone. Au début, Josh est intrigué, et vaguement embarrassé. Et puis il s’habitue et finit par trouver ça normal. C’est de l’argent facilement gagné, un agréable complément à son salaire, grâce auquel il peut s’installer dans la vie (il se marie, a un enfant), emménager dans un appartement plus vaste — les chèques continuent mystérieusement de le suivre à sa nouvelle adresse. Et puis un jour, il apprend enfin pourquoi il a été payé. Et il comprend sa douleur.

À force de fréquenter Westlake, on commence à identifier les quelques scénarios sur lesquels il brode des variations toujours nouvelles. Il y a le scénario « chasse au trésor » que se disputent des barjots diversement allumés, et cela donne l’excellent Aztèques dansants ou l’ennuyeux Château en esbroufe ; le scénario du « casse impossible », qui inspire aussi bien les aventures hard-boiled de Parker, signées Richard Stark, que leur parodie, la série des Dortmunder : dévaliser une ville entière ou un casino flottant, démonter un château pierre à pierre, voler une banque (pas le contenu du coffre : le bâtiment lui-même) ou un magot enterré au fond d’une vallée engloutie, etc. ; enfin le scénario du gars ordinaire qui cherche à se tirer du pétrin inextricable où il s’est fourré, et dont il est parfois l’instigateur. Ici l’on reconnaît le Pigeon d’argile, N’exagérons rien (ou les mésaventures criminelles d’un critique de cinéma, « Super noire » no 101 ; c’est épuisé, c’est tordant, ne le loupez pas si vous tombez dessus), Adios Schéhérazade, Mort de trouille et plusieurs autres.

Argent facile appartient à cette dernière famille. Le point de départ est formidable, la suite un thriller humoristique de très bonne tenue comme Westlake en a beaucoup écrit, avec des rebondissements inattendus et d’autres plus conventionnels, et dans lequel s’ébattent des personnages dangereux et pittoresques – depuis l’espion sur la touche devenu le chauffeur d’une vieille toquée jusqu’au comédien off-off-Broadway qui affronte des tueurs professionnels en recourant à la « Méthode ». Westlake a un métier considérable qui fait qu’on le lit toujours d’une traite — verve narrative, sens du dialogue, ironie constante, comparaisons désopilantes qui déboulent comme un chien dans un jeu de quilles. Mais comme on attend beaucoup de lui, on aimerait qu’il nous surprenne à tous les coups ; qu’il renoue avec le génie de l’énormité burlesque de ses grands jours, ou retrouve un sujet de la force d’Ordo ou du Couperet.

Tout en continuant à publier de l’inédit westlakien à jet régulier1, Rivages poursuit la réédition en poche de titres épuisés, dans des traductions revues et enfin complètes. Ainsi a reparu il y a quelques mois Pierre qui roule, très bon premier chapitre de la saga de Dortmunder (et, par parenthèse, le seul Dortmunder ayant donné lieu à une adaptation satisfaisante au cinéma : The Hot Rock/les Quatre Malfrats de Peter Yates [1972], disponible en dvd Z1 sans stf). Ainsi vient de ressurgir un titre longtemps introuvable et chéri des amateurs, qui se le refilaient depuis des lustres comme une bonne adresse.

Hommage aux soutiers besogneux de la littérature industrielle, Adios Schéhérazade occupe une place à part dans l’œuvre de Westlake. Ce livre délectable narre les déboires tragicomiques d’un auteur de romans pornos bas de gamme victime d’une panne d’inspiration. Universitaire raté, ancien livreur de bière, Edwin Topliss (topless ?) est devenu le nègre d’un autre polygraphe monté en grade (il écrit à présent des romans d’espionnage), auquel il doit fournir un manuscrit par mois. Sa femme est enceinte, le ménage vit au-dessus de ses moyens, il faut qu’il ponde son satané porno mensuel. Bref, son blocage le plonge dans une panade inénarrable dans laquelle il s’enfonce un peu plus à mesure qu’il cherche à se tirer d’affaire. Non seulement ses aléas sont irrésistibles, mais Westlake en profite pour parodier de réjouissante manière le grand poncif du roman moderne : le roman dans le roman, le roman-en-train-de-s’écrire-d’un-créateur-en-mal-d’inspiration, la scie du « je n’arrive plus à écrire et j’écris pour dire que je n’arrive plus à écrire », qui tire ici tout son sel d’être placée dans la bouche d’un pornographe de troisième ordre, plutôt que dans celle d’un littérateur d’avant-garde. Imaginez un 8 ½ mettant en scène un émule de John B. Root et qui serait réalisé par Billy Wilder, et vous aurez une idée du résultat. Chaque chapitre est un nouveau départ où le malheureux Topliss tente de commencer son pensum érotique, et se noie de plus belle dans les digressions et le ennuis d’amplitude croissante. Au passage, il nous dévoile toutes les ficelles du métier : les quatre canevas types d’un bon porno, l’art de tirer à la ligne pour atteindre les 150 000 signes standards en réinjectant dans l’ouvrage nouveau des morceaux d’anciens livres. C’est si bien observé qu’on jurerait que Westlake a fait ses classes dans le genre. L’intéressé s’en est mollement défendu. Reste qu’Adios Schéhérazade sent, comme on dit, le vécu. Rarement la solitude et l’angoisse d’un forçat de l’Underwood furent aussi bien dépeintes. Westlake vit de sa plume, il a publié plus de soixante-dix romans sous au moins huit pseudonymes pour nourrir ses sept enfants. De sorte qu’il est tentant de voir en Edwin Topliss son double malchanceux, chargé d’exorciser la hantise secrète de tout écrivain, quel que soit son talent : se retrouver du jour au lendemain à court d’imagination 2. Si vous cherchez un livre à emporter en vacances, vous savez ce qu’il vous reste à faire.

Donald WESTLAKE, Argent facile (Money for Nothing). Traduction de Mathilde Martin. Rivages/Thriller, 2007, 283 p.
Pierre qui roule (The Hot Rock). Traduction d’Alexis G. Nolent. Rivages/Noir n° 628, 2007, 300 p.
Adios Schéhérazade (id.). Traduction de Marcel Duhamel et Laurette Brunius. Rivages/Noir n° 650, 2007, 220 p.

1 Et il y a du boulot. Depuis Argent facile, paru en anglais en 2003, Westlake a publié un recueil de nouvelles (Thieves’ Dozen), deux Dortmunder (Watch Your Back ! et What’s so Funny ?) et trois Parker (Break Out, Nobody Runs Forever et Ask the Parrot). Comme il le dit lui-même dans sa bibliographie : « As the hunted boy said about Robert Mitchum in Night of the Hunter, « Don’t it never sleep? » »
2 Cette hantise reparaîtra quelque quinze ans plus tard dans le Contrat, roman par ailleurs fort décevant en raison d’une intrigue filandreuse dont on devine l’issue cent pages avant la fin (c’est si évident qu’on se dit que Westlake nous mène en bateau et nous surprendra au dernier moment par un retournement à sa façon ; et puis non). Mais le tableau des mœurs éditoriales américaines en dit aussi long qu’un essai d’André Schiffrin. Et la crise de créativité d’un auteur de best-sellers donne lieu derechef à des morceaux fort boyautants.


dimanche 1 juillet 2007 | Rompols | 14 commentaires


Message d’outre-tombe


Le Monde, 30 juin 2007


samedi 30 juin 2007 | Grappilles | Aucun commentaire


Les progrès du progrès

Dans l’autobus 4, ma voisine papote au téléphone. Une sonnerie assourdie résonne au fond de son sac. « Attends, je te rappelle », fait-elle à son interlocutrice, tout en sortant dudit sac un deuxième téléphone portable. « T’es où ? », et d’entamer une nouvelle conversation, en même temps qu’elle compose un sms sur le premier appareil.


mardi 26 juin 2007 | Broutilles | 2 commentaires


Ganelin Trio

Le premier Ganelin Trio (Vyacheslav Ganelin aux claviers, Vladimir Chekasin aux anches, Vladimir Tarasov aux percussions) fut le groupe de jazz d’avant-garde soviétique d’avant l’effondrement du Rideau de fer, et sa musique (réunie sur une demi-douzaine de cds chez Leo Records), une des grandes sensations de la scène européenne des années 1980. Musique fascinante, habitée par le drame en même temps que traversée par un drôle d’humour, collage martien de bop, de free, de souvenirs du folklore nordique et de musique contemporaine, déployé dans de longues suites exploratoires qui durent rarement moins d’une demi-heure. Le groupe se sépara à la fin des années 1980, Ganelin s’établit en Israël et entama une carrière solo, avant de reformer un trio avec Petras Vysniauskas et Arkadi Gotesman (remplacé depuis par Klaus Kugel). Le présent concert a été filmé à Vilnius en mai 2005. Au programme, deux grandes pièces de 34 et 40 minutes alternant moments de tempête et d’accalmie, suivies d’un codicille plus bref. Les motifs mélodiques mobilisent le folklore balte davantage qu’autrefois – en particulier dans le premier morceau, au climat par moments ECMien -, il y a dans l’air un parfum de nostalgie revival mais la magie du premier trio n’est plus tout à fait là malgré de beaux moments d’intensité, – Vysniauskas en particulier se révèle sur la durée un soliste plus limité, moins iconoclaste que ne l’était Chekasin. Entente télépathique en revanche entre Kugel et Ganelin. Quant à Ganelin justement, il est assez captivant, quand on ne le connaît que par le disque, de découvrir cet homme-orchestre en action, entre ses deux claviers acoustique et électrique (son emploi très personnel du synthétiseur, dont il tire une sorte de continuo dans l’extrême grave, suffirait à me réconcilier avec cet instrument), quelques éléments de batterie et le corps du piano ponctuellement utilisé comme un instrument de percussion. L’abus de fondus enchaînés en début de concert fait un peu peur, mais le filmage et le montage trouvent rapidement leurs marques, et leur précision met bien en valeur la dynamique du trio.

Ganelin Trio Priority. DVD Nemu Records.


lundi 11 juin 2007 | Dans les oneilles | Aucun commentaire


Paris vécu, Paris rêvé

Flâneur infatigable, Fargue a usé ses semelles sur tous les pavés de la capitale, et ses fonds de culotte jusqu’à pas d’heure sur les banquettes de tous les cafés, vaste sujet sur lequel il se révèle incollable. Ce livre fait revivre le Paris de l’entre-deux-guerres. On y déambule de Montmartre à Passy, de Montparnasse à Saint-Germain et du Jardin des Plantes aux Champs-Élysées, avec arrêt devant les bouquinistes des quais, traversée des boulevards « qu’on feuillette comme un album » et station dans les grands hôtels qui sont des paquebots de luxe amarrés dans la nuit. Mais le cœur de Fargue bat d’abord pour les rues moins fréquentées du Xe arrondissement, ce quartier méconnu parce que dénué de prestige dont il restitue à merveille l’ambiance et la géographie secrète. « Contrairement à une légende entretenue dans la cervelle des jeunes bacheliers par des papas casaniers, la Chapelle n’est ni un quartier de crimes ni un quartier de punaises. C’est un endroit charmant, et même sérieux. Mais sérieux dans le sens où le mot s’applique à un bourgogne, à un cassoulet ou à un brie de Melun. C’est un plat sérieux. »

Une anecdote typique de Fargue pourrait être la suivante : il suit une dame dans un taxi, et s’aperçoit qu’il n’a pas un sou en poche. Il prétexte alors diverses courses aux quatre coins de la ville, fait arrêter la voiture devant le journal ou le bistro où il sait trouver quelque ami sûr qui lui avancera un billet. Pas de veine: l’ami est parti, ou n’est pas encore arrivé. L’équipée dure ainsi des heures, et pendant ce temps le compteur tourne et le prix de la course devient exorbitant.

Cependant, le Paris de Fargue, au moment qu’il le décrit, est déjà en train de disparaître, tué par le tourisme, le chiqué, le snobisme des bourgeois qui vont s’encanailler dans les quartiers louches. La nostalgie n’est pas toujours bonne conseillère, il arrive qu’elle tourne à l’aigreur. Mais au moment où l’on va tiquer, Fargue nous stupéfie par un trait d’écriture, une image renversante.

Ces images, il en pleut dans le recueil publié à la suite, D’après Paris : un ensemble de poèmes en vers et en prose qu’on peut situer au carrefour du tableau baudelairien, de l’hallucination nervalienne et des poèmes-conversations d’Apollinaire. Je ne dis pas cela pour écraser notre piéton sous les références, mais pour tenter de suggérer la puissance poétique réellement étonnante de ces pages, leur talent à transfigurer souvenirs et choses vues en autant de visions oniriques. De Fargue, Breton disait justement qu’il est « surréaliste dans l’atmosphère ». Il a rêvé la capitale autant qu’il l’a sillonnée en tous sens. Son Paris, dans ce qu’il a de plus précieux, est une ville imaginaire hantée par des fantômes.

Réédité pour les trente ans de la collection L’Imaginaire, le volume s’accompagne de deux documents sonores réunis sur un cd. Dans le premier, Fargue raconte à voix douce l’attaque qui le frappa d’hémiplégie, en 1943, alors qu’il déjeunait en compagnie de Picasso (aucun apitoiement, mais un grand souci d’exactitude). Suit une série d’entretiens radiophoniques avec la malicieuse Adrienne Monnier, qui évoque les très riches heures de la librairie Les Amis du Livre, dont Fargue fut avec tant d’autres un familier. Un attachant complément à la lecture des Gazettes et de Rue de l’Odéon.

Léon-Paul FARGUE, le Piéton de Paris. Gallimard, L’Imaginaire, 304 p., + cd audio.


samedi 2 juin 2007 | Au fil des pages | 2 commentaires