Quenelliana

Un immense merci à G et S qui ont eu la gentillesse de me rapporter de Rome la version italienne — signée Umberto Eco — des Exercices de style de Queneau, enrichissant d’autant ma modeste collection des traductions de cet ouvrage si tant aimé.
Manquent encore à l’appel les traductions en norvégien, en turc et en japonais (pour l’édition néerlandaise, je devrais pouvoir me débrouiller).
Les voyageurs-bouquineurs en partance pour ces contrées qui seraient en mesure de se charger de cette commission (contre remboursement du livre et des frais de port, œuf corse) sont invités à nous contacter. D’avance, nous leur baisons les pieds.

Interjections
Psst ! heu ! ah ! oh ! hum ! ah ! ouf ! eh ! tiens ! oh ! peuh ! pouah ! ouïe ! hou !
aïe ! eh ! hein ! heu ! pfuitt !
Tiens ! eh ! peuh ! oh ! heu ! bon !

Interiezioni
Psst ! Ehi ! Ah ! Oh ! Hum ! Ouf ! Eh ! Toh ! Puah ! Ahia ! Ouch ! Ellalla’ ! Pffui !
No !? Sí ? Boh ! Beh ? Ciumbia ! Urca ! ma va !
Che ?!! Acchio ! Te possino ! Non dire ! Vabbé ! Bravo ! Ma no !

Interjektionen
Pst ! he ! ah ! oh ! hm ! ah ! uff ! eh ! nanu ! oh ! bah ! puh ! hui ! uh ! ei ! na !
he ! pah !
Nanu ! eh ! bah ! oh ! he ! naja !


lundi 15 janvier 2007 | Monomanies | 2 commentaires


Poétique de l’entrevu

La poésie ou plutôt le poème ne doit rien au rêve. À la rêverie, peut-être, et alors à la divagation, si vous voulez. En vérité, je ne crois pas qu’elle se fasse ailleurs que sur les lèvres, dans la voix, au hasard de sa venue qui, chez moi, se produit presque toujours en marchant et à l’aperçu, à l’entrevu de quelque chose. […] Il y a un autre monde, vous savez : il est ici et ne demande qu’à apparaître. Qu’on appelle cela « surréalité » ou « plus de conscience », c’est toujours de l’immanence cachée, mais clignotante, scintillante, qui fait signe et qui se dévoile quand elle veut et… quand vous pouvez. […] Le poème, chez moi, est presque toujours le produit, l’accompagnement et comme la traduction simultanée d’une espèce d’apparition. Presque toujours aussi, ce phénomène est bref, et je ne vois pas pourquoi le poème devrait se prolonger au risque de le diluer, de l’épuiser. Il doit laisser une vibration dans l’air. Il doit blesser aussi, ouvrir la terre mais comme une épine, pas comme un tracteur1.

Ce qui vaut pour la poésie de Pierre Peuchmaurd vaut aussi bien pour les fragments réunis dans l’Immaculée Déception, recueil qui fait suite à À l’usage de Delphine. Aphorismes, choses vues, bestiaire, jeux de mots à la Leiris, raccourcis fulgurants saisis au vol dans un calembour, étonnements et courroux, sottisier et fragments d’art poétique… Ce sont flèches qui vibrent en effet, où l’ironie fait jeu égal avec le sens du merveilleux — tandis que passent comme en songe de troublantes jeunes filles. Considérant les mots et le monde d’un autre œil, Peuchmaurd sait l’art de dépayser le langage en retournant comme des gants les vérités premières et les expressions toutes faites, pour mieux tirer le tapis sous les pieds du sens commun. De bien jolies fleurs (sans rhétorique), aux épines exquises.

Pierre PEUCHMAURD, l’Immaculée Déception. Atelier de l’agneau, 2002, 78 p.

1 Extraits d’un entretien avec Pierre Peuchmaurd paru dans Le Matricule des anges.

Extrait

Victimes du tabagisme, ne restez plus passives : fumez.

Les fées sont têtues.

J’ai vu une boîte aux lettres sur une caravane.

Corpus Christine.

L’aîné des mes soucis.

Pâtir des châteaux en Espagne.

Dresser une lapalissade.

Sanglot : l’eau du sang.

Ce n’est pas à ses jours que l’on met fin, c’est à sa nuit.

Le commandement de Mallarmé : « Surtout, ne va pas, frère, acheter du pain » ne s’adresse qu’aux poètes qui ont une bonne.

Le tamanoir est une huître géante avec des poils.

Je ne connais rien de plus déprimant qu’un homme sans mélancolie.

Des ossements d’épaules.

Danger : public.

La lettre était cassée, le haut du f effacé. J’ai donc cru que Valéry avait écrit :
« J’ai pensé à des choses chéries,
tondantes. »

Nous vîmes des choses, les oubliâmes. C’est le passé simple.

D’après mon ordinateur, l’adverbe plénièrement n’existe pas, ce qui n’est l’avis ni de Saint-Simon ni d’André Breton. Il propose de le remplacer par planétairement, montrant bien, comme il est naturel, que pour les manipulateurs des technologies nouvelles l’idée de souveraineté se réduit à celle du contrôle de l’espace – mental, de préférence.

La fille en bleu dans l’arbre, si vous croyez que c’est la Vierge, faites-la descendre, ce sera Marie.

Cinquante-six kilos. Mon amour pèse le poids d’un cœur d’éléphant.

« Chacun sa vie, chacun son forfait », énonce tranquillement une publicité pour les transports en commun.

Seul convive, seul qu’on meurt.

Moi, je parlerais plutôt du plein gré de mon insu.


samedi 13 janvier 2007 | Au fil des pages | 5 commentaires


Marqueterie

Pour Marie [Dormoy], Léautaud commence un journal, ce 13 janvier 1933. Pour cela, il se sert d’un support : un numéro de la Nouvelle Revue française (celui du 1er octobre 1932 fera l’affaire), et colle soigneusement des feuillets blanchâtres au recto et au verso des pages de la revue. Certes, on n’aura pas compris tout à fait Léautaud si on néglige l’aspect matériel de ses manuscrits ; et il y a de quoi rêver. Pour Léautaud, rédiger un double de lettre ou tenir un journal ne consiste pas à faire courir vulgairement sa plume d’oie sur le papier ; il faut d’abord, tout au long de la rédaction, construire le support ! Le simple mortel qui croit qu’en prenant du papier et une plume il écrit, se trompe. […] Une lettre prise en double, la tenue du journal exigent des dispositions particulières de la part de celui qui écrit. C’est ainsi que Léautaud se livre à un véritable travail de marqueterie sur certains de ses comptes rendus de journée ou sur certains doubles en collant des quantités de languettes très fines sur des expressions fautives ; il peut alors écrire à nouveau. Ou bien, il ajoute des bandelettes à d’autres bandelettes ; et alors on déroule le manuscrit comme un papyrus. Un double de lettre à Billy, par exemple, atteint un mètre de long (lettre du 16 février 1952) et se compose de dix-neuf bandes collées les unes à la suite des autres.

Edith Silve, Paul Léautaud et le Mercure de France.
Mercure de France, 1985.


dimanche 7 janvier 2007 | Grappilles,Monomanies | Aucun commentaire


Nos amies les bêtes

12 janvier 1914
Dîner hier soir chez Mme Cayssac, après la réunion de la SPA pour le ballotage de deux administrateurs. Dîner un peu de fête, avec du champagne. À ce moment, comme je ne pensais pas à trinquer et que j’allais boire, Mme Cayssac me dit : « Eh bien, vous buvez sans trinquer. Trinquez au moins à la santé des bêtes ! » J’approche aussitôt mon verre du sien, et de mon air le plus gracieux : « À votre santé, Madame. »

Paul Léautaud, Journal.


jeudi 4 janvier 2007 | Grappilles | Aucun commentaire


Bilan annuel

Livres lus : 87 (+ 4 par rapport à 2005)
Films vus : 113 (- 26)
Séries : 15 (pour un total de 19 saisons, soit 11 saisons complètes, 6 saisons en cours et 2 abandons)

Locus Solus s’honore d’une moyenne de 580 visiteurs par mois. Beaucoup d’entre eux, soyons juste, atterrissent en ces lieux par erreur, aiguillés par l’humour impénétrable des moteurs de recherche à la suite d’étranges requêtes, dont voici un florilège :

casquette fantaisie double visière – sosie de Condolezza Rice – soudure sur cuivre – mystère insoluble – entretien de la barbe – monter une escroquerie – dimension alvéoles de bibliothèque – nymphomanie – fonctionnement du bélinographe – film pianiste maladie mentale – peinture d’amoureux dans un bistro – décoration fenêtre blanc d’Espagne – techniques de narration du roman classique – la signification du chapeau – autocar transformé – inventions entre 1966 et 1969 Woodstock – portrait psychologique George Bush – vêtement anticonformiste – où est l’amitié dans le mensonge ? – rayonnages sur fils tendus – escroquerie à l’héritage assurances vie – le dépucelage par une professionnelle – textes pour écrire une invitation à l’inauguration d’un film – toque fourrure véritable – poème pour ma soeur jumelle gratuit – éloge funèbre alcoolique – conserves de cornichons – saccage pâtisserie – excréments Queneau – choix d’un verbe rare – sosie milliardaire – peinture toile vieille fontaine – farce dont la victime est le narrateur – quelle guerre vient de se terminer quand Edmond Rostand naît ? – murder party scénario gaulois – sans papier ni stylo – scène compromettante télé – baleine échouée plage David – faire la fête au palace Paris 1990 – poème débutant hard et cru – arnaques magouilles – raccords trois pièces – la grille mystérieuse avec dramatisation – envoûtement télépathique – Flaubert sa frustration – joint de dilatation détail technique – ancêtre du télécopieur- qu’est-ce que la sincérité ?


lundi 1 janvier 2007 | Monomanies | Aucun commentaire


Dans un réseau de lignes entrecroisées

Sur écoute (The Wire), première saison
David Simon, HBO, 2002.

Certainement l’une des plus grandes séries de ces dernières années. Dense, complexe, anti-spectaculaire, avec une approche semi-documentaire, une richesse sociologique et une ampleur qui en font sans exagération l’égale des meilleurs romans noirs contemporains (outre des journalistes et des ex-policiers, l’équipe de scénaristes compte d’ailleurs deux romanciers, Dennis Lehane et George Pelecanos). Au contraire de la plupart des séries policières, qui bouclent mécaniquement une affaire par épisode, c’est une seule longue enquête qui occupe les treize heures de la première saison 1. Et à contre-courant du style coup de poing adopté par tant d’autres, pour le meilleur (The Shield) ou pour le pire (24 heures chrono), Sur écoute parie sur la durée, en prenant le temps d’installer un univers moralement complexe, de nombreux personnages et des intrigues parallèles — au sein desquelles le spectateur, d’abord délicieusement égaré, trouve peu à peu ses repères.
L’échiquier : Baltimore, qui est au fond le personnage principal de la série (l’ancrage géographique précis est décidément l’une des grandes forces des fictions américaines, à l’écrit comme à l’écran). Les joueurs : une cellule d’enquête composée de membres de la brigade criminelle et d’agents des stups, chargée de démanteler un gang de trafiquants de drogue ayant mainmise sur un quartier de la ville — et d’emblée mal vue de sa hiérarchie. De part et d’autre de la barrière, ni des super-flics ni des super-dealers, mais des gens ordinaires, des compétents et des incapables, des têtes brûlées et des bras cassés, des paumés, des futés et des parfaits crétins. La partie : un va-et-vient entre flics et malfrats, un fascinant puzzle dont les pièces se mettent très lentement en place, chaque nouvelle pièce redessinant la configuration de l’ensemble. Une peinture remarquable du travail ingrat, routinier, répétitif des enquêteurs, auxquels leurs supérieurs mettent autant sinon plus de bâtons dans les roues que les trafiquants : manque de moyens criant, locaux inadéquats attribués de manière vexatoire, tracasseries bureaucratiques, querelles de précellence et conflits d’intérêt, arrière-pensées carriéristes des chefs de division, qui exigent des résultats rapides et superficiels pour gonfler les statistiques et parader dans les médias, quitte à compromettre le travail de fond de l’enquête (surtout lorsque celle-ci menace d’éclabousser quelques notables). En face, un tableau non moins juste du monde des petits trafiquants, qui a lui aussi son organisation, ses lois, sa hiérarchie. En somme, deux systèmes parallèles qui jouent au chat et à la souris, deux stratégies qui s’affrontent et interagissent, chaque avancée de l’enquête amenant les dealers à revoir en conséquence leur modus operandi — et réciproquement.
Ainsi se dessine, épisode après épisode, un réseau aux ramifications tentaculaires, où tout communique avec tout. Écoutes téléphoniques, intérêts croisés, circulation de l’argent qui, depuis le trafic de drogue, irrigue souterrainement la ville, du financement occulte des partis politiques jusqu’au marché de l’immobilier. Pas de happy end, évidemment. Au bout du compte, ce patient travail de Pénélope n’aboutira qu’à un procès décevant, tronqué par des marchandages préalables entre avocats et procureurs — tandis que, dans les cités de Baltimore Ouest, le trafic reprend de plus belle. Ce dénouement amer en forme de « tout ça pour ça » laisse suffisamment de pistes ouvertes pour suggérer que cette saison est elle-même la première pièce d’un ensemble plus vaste, sur lequel les chapitres suivants apporteront un nouvel éclairage. À suivre, donc.


L’échiquier et le réseau : deux métaphores possibles de Sur écoute.

1 Il n’y a qu’un précédent à ma connaissance, c’est Murder One (1995), qui consacrait toute une saison à la résolution d’une seule grande affaire, de la découverte du crime au verdict du procès (série produite par Steve Bochco, dont on n’a pas fini de mesurer le rôle de pionnier dans le renouvellement de la fiction policière de ces vingt dernières années).

Ping-pong. Pour un point de vue approfondi sur les trois premières saisons, cf. Exit option. La quatrième saison est encore inédite en DVD.


jeudi 21 décembre 2006 | Dans les mirettes | 3 commentaires


Aimer, lire, écrire

Éditeur et écrivain, Patrick Mauriès est un éclectique selon notre cœur : modeste collectionneur, grand amateur de curiosités bibliographiques et d’excentriques anglais, féru d’histoire du goût et des styles, avec une affection marquée pour les figures oubliées et les époques dites de transition (maniérisme, rococo). Quant à ses Fruits du hasard, c’est un livre comme nous les aimons : court et dense, mariant le récit et l’essai dans un troublant jeu d’échos où les thèmes s’appellent et se répondent. Quelques éléments autobiographiques (origines familiales et souvenirs d’une enfance errante ; rupture sentimentale qui a déclenché le désir d’écrire ces pages, pour combler le vide laissé par l’être aimé) s’y entrelacent à un écheveau de lectures, liées les unes aux autres par un surprenant réseau de coïncidences. Sous l’invocation du dieu hasard (le Serendipity cher à Walpole) qui régit nos rencontres — amoureuses ou livresques —, passe en filigrane une double interrogation : en quoi le fait de lire affecte nos existences (et réciproquement) ? Et aussi : comment écrire avec sur ses épaules le poids de la bibliothèque, de tous les « géants » qui nous ont précédés ?

Patrick MAURIÈS, les Fruits du hasard. Gallimard, 2001, 99 p.


dimanche 17 décembre 2006 | Au fil des pages | Aucun commentaire