Bologne, via Saragozza
Revu à la télé le Corbeau dans une belle copie. Film que je n’aimais guère – au souvenir d’une vision ancienne –, et dont les vertus propres me sont mieux apparues (qu’on partage ou non la « vision du monde » de Clouzot, celle-ci produit ici des effets, esthétiques s’entend).
J’avais notamment oublié combien ce film est remarquablement cadré et découpé, l’engrenage parfait de l’enchaînement des plans. Certains d’entre eux sont d’une nudité bressonienne, mais sans la grisaille de ce janséniste. Au contraire, la copie restaurée met bien en valeur les contrastes de la belle photo de Nicolas Hayer. Cette netteté de l’écriture cinématographique préserve la noirceur du film du côté rance et mesquin (dans la peinture d’une humanité médiocre) de bien des films français de la même époque.
Au fond, c’est plutôt du Buñuel de la période mexicaine qu’il faudrait rapprocher ici Clouzot.
Ce qui ne nous parle plus guère dans la poésie symboliste : le goût du lexique rare, le culte de l’antique, le recours à la mythologie ; tout un appareil dont Mallarmé sut tirer de précieuses miniatures mais qui entre des mains moins expertes sent la pacotille.
Ce qui nous touche encore dans la poésie symboliste : un art de la suggestion obtenue par les moyens (apparemment) les plus simples.
Combien de ratures pour parvenir à ce quatrain ?
La nuit d’ombre, de soie et d’or
Du fond du silence est venue
Et l’automne est si tiède encor
Que tu pourras t’endormir nue.— Henri de Régnier
Poème cité par Michel Bulteau dans le Club des longues moustaches (Quai Voltaire, 1988) : évocation d’un groupe d’écrivains à belles bacchantes qui partageaient l’amour de Venise, un dandysme sans illusions et un certain penchant à la mélancolie, né du sentiment d’être en porte-à-faux avec leur époque : Henri de Régnier, Jean-Louis Vaudoyer, Edmond Jaloux, Émile Henriot, Eugène Marsan, Francis de Miomandre.
Paris, Citadines La Défense
Lille, hôtel Chagnot
Professeur de mathématiques et mélomane anglais, l’homme qui, sur les réseaux sociaux, publie sous le pseudonyme de « Love Your Classical Music Geek » est un cinglé magnifique comme on les aime, qui collectionne les « cubes » (boxsets) de musique classique, dédiés à des compositeurs, des interprètes ou des chefs d’orchestre. Depuis 2020, il en ajouté la bagatelle de deux cent cinquante à sa collection. Il les écoute, mind you! et commente ses auditions avec une ferveur et une remarquable absence d’a priori qui font plaisir à lire. Il y a beaucoup de découvertes à faire à son contact, et c’est un parfait complément d’information à l’émission Au cœur de l’orchestre qu’anime avec chaleur et compétence Christian Merlin sur les ondes de France Musique.
Au cœur de l’orchestre fut à l’origine un livre de Christian Merlin,
vivement recommandé au mélomane amateur (Fayard, 2012).
Rémy Jimenes, Claude Garamont typographe de l’humanisme. Éditions des Cendres, 2022.
Rémy Jimenes fait œuvre utile en proposant une synthèse très agréablement rédigée des connaissances actuelles sur Claude Garamont, « personnage à la fois célèbre et mal connu », dispersées dans des publications savantes peu accessibles au grand public. La recherche récente sur le sujet a fait des progrès notables. Bien des légendes ont été dissipées au passage. L’importance de Garamont n’en sort pas diminuée, au contraire, mais plus exactement évaluée et située dans le monde du livre et du savoir de son temps, le développement de l’imprimerie et de l’édition parisiennes concomitant à l’essor de la culture humaniste, la politique de prestige culturel menée par François Ier et son entourage – qui passait aussi par l’édition de livres.
On mesure ainsi que la typographie n’est pas qu’affaire de technique et de savoir-faire. L’adoption de nouvelles polices de caractères fut un enjeu culturel et politique, et l’un des instruments de diffusion de la culture humaniste à la Renaissance.
À la Renaissance, les corps de caractères sont désignés par des expressions imagées, charmantes mais peu précises. C’est au XVIIIe siècle qu’on inventera une unité de mesure, le point typographique.
Emplettes matinales au marché aux puces.
Il y en avait plusieurs cartons de la même eau. Il est rare de trouver des disques classiques de cette qualité aux puces. D’ordinaire, on a droit aux « plus grands succès de l’opérette ».
Derrière ces trouvailles on devine une histoire tristounette : le décès d’un vieux mélomane averti, des héritiers que ça n’intéresse pas et qui, plutôt que de se donner la peine de contacter un bon disquaire d’occasion, balancent le tout en vrac pour une bouchée de pain au premier vide-grenier venu. Sic transit gloria collectionis.