Résolution

En 2010, foi de Bruce Wayne, je me fais aménager cette bibliothèque façon batcave dans les sous-sols de mon manoir.


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dimanche 3 janvier 2010 | Bibliothèques | 3 commentaires


Janvier

Janvier, en France, est le premier mois de l’année depuis une décision de Charles IX. Il a trente et un jours. Chez les Romains, Janus lui ouvrait les portes. (C’était le dieu des concierges. Le mois lui était consacré.) Chez les Gaulois, les druides agiles cueillaient le gui à la cime des chênes, en chantant des chansons bretonnes (et non pas la Chanson de Roland).
Janvier est plein de neige, de vent, de nuit, de loups. On y fête le jour de l’an, l’adoration des Mages et la Saint-Charlemagne. C’est en janvier, sous le Roi-Soleil, que l’homme inventa la première machine à écrire, et que Landru, qui reste dans l’histoire comme le type du faux affectueux, brûla sa dernière victime dans un poêle à trois trous sans valeur commerciale : le vent soufflait et l’ombre de sa barbe dansait sur le mur de la cuisine.
On croit savoir que les enfants sages recevront des étrennes utiles, et même des étrennes inutiles, parmi lesquelles toutes sortes de fusées cosmiques qui seront d’un effet désastreux.
Les jours seront courts, parce que les nuits seront longues. L’emploi des appareils électroménagers y remédiera fort heureusement. Si vous êtes épuisée par une journée fatigante, au moment d’aller vous coucher, faites un bœuf mode qui ne vous prendra que quarante minutes avec la « cocotte sous pression » ; il vous fera gagner trois heures. Consacrez-les à un repos réparateur.
Une bonne lessive, au même moment, peut vous faire gagner deux grandes heures ; en achetant un prêt-à-porter vous gagnerez quarante-cinq minutes. Vous finirez par avoir trop de temps.

Alexandre Vialatte, Almanach des quatre saisons
(rédigé pour Marie-Claire entre 1960 et 1966).


vendredi 1 janvier 2010 | Grappilles | 2 commentaires


Ubikuité

Comment parler des livres qu’on aime à ceux qui ne les ont pas lus ? C’est en fait une question bien plus délicate que celle à laquelle s’est attelé Pierre Bayard il y a deux ans, avec le retentissement un rien snob qu’on sait. Comment convaincre un ami de lire « 53 jours » sans trahir le secret de ses ressorts textuels et lui gâcher la surprise ? Comment parler d’Ubik ?

Mystérieusement, je n’avais jamais lu ce roman, alors que j’aime beaucoup Philip K. Dick et qu’il s’agit de son livre le plus réputé. Il sommeillait sur mes rayons depuis — gasp — le 6 novembre 1990, date à laquelle je l’ai acquis à L’Échange, boulevard Mont-Royal, dans l’édition Laffont aux fameuses couvertures argentées (collection Ailleurs et Demain dirigée par Gérard Klein, traduction d’Alain Dorémieux : deux auteurs de SF publiés naguère par Éric Losfeld, comme on se retrouve). Et puis, avant-hier, j’ai été pris soudain du désir irrépressible de lire Ubik. Pourquoi ? Mystère. Les livres savent nous attendre le temps qu’il faut, et nous faire signe au bon moment. J’ai donc ouvert Ubik. Et je ne l’ai plus lâché.

Ce livre est extraordinaire. Totalement flippé, vertigineux, jubilatoire. Avec, comme il se doit, plusieurs niveaux de lecture enchevêtrés. Il y a des lustres que je n’avais pas dévoré un roman avec une telle excitation. Bon, toute cette rhétorique convenue de l’enthousiasme vous fait une belle jambe. Mais qu’en dire de plus pour faire envie sans déflorer le livre si peu que ce soit ? (Je ne parle même pas de la présomption qu’il y aurait à vouloir formuler un commentaire un tant soit peu original, s’agissant d’une œuvre qui a suscité des kilomètres de glose.) Par chance, j’en ignorais tout avant de l’ouvrir, et c’est tout le bonheur que je vous souhaite.

Qu’en dire alors ? Ceci, peut-être. On sait que Dick écrivait très vite. Mon intuition est que, pareil à Westlake, il ignorait où le mènerait son point de départ au moment d’introduire la première feuille dans le rouleau de sa machine à écrire, et qu’il a écrit le livre pour le découvrir. Les retournements qui explosent à la figure du lecteur, ce sont d’abord des défis que Dick lance à sa propre faculté d’invention (tiens, et de celui-là, comment vas-tu te sortir ?). Je peux me tromper. Mais quand bien même ce serait le cas, il resterait le sentiment très fort d’un livre qui s’invente à toute vitesse sous nos yeux tandis qu’alentour la réalité se désagrège et tombe en morceaux. Zut, je me tais. Lisez Ubik.


jeudi 31 décembre 2009 | Au fil des pages | 1 commentaire


En couverture

Comme chaque année, Joseph Sullivan (The Book Design Review) publie son palmarès des meilleures couvertures de l’année. Il a également prié trois librairies indépendantes d’établir le leur. Une fois de plus, on est conquis par l’invention graphique dont font preuve les éditeurs anglo-saxons. Sauf exceptions, les grandes maisons françaises font pâle figure en regard et il faut se tourner vers une poignée de « petits éditeurs » (Zulma, Attila, Monsieur Toussaint Louverture et j’en oublie) pour trouver un soin comparable.

Au rayon mise en abyme ingénieuse, Jaya Miceli fait mumuse avec le logotype de Penguin (cela devient une tradition maison mais on ne s’en lasse pas) tandis que John Gall joue joliment de l’analogie entre un livre et une pierre tombale.

Au rayon boire et manger, en voici deux, respectivement signées Mark Robinson et David Gee, qui m’ont particulièrement séduit.

Addendum : un fidèle lecteur m’envoie ce lien vers l’ensemble des couvertures façon boîtes à papillons conçues par John Gall pour la réédition des œuvres de Nabokov chez Vintage. Merci à lui.


mercredi 30 décembre 2009 | Le monde du livre | Aucun commentaire


Appel d’air

« Parlez-moi de Hugo, de Stendhal au galop, parlez-moi de Balzac allumant et éteignant Paris, des orages orange de Barbey d’Aurevilly. Parlez-moi de Nerval et des carrières de Montmartre, parlez-moi sans fin de Baudelaire et infiniment de Rimbaud. Parlez-moi des véritables vivants. »
Parlons donc de Pierre Peuchmaurd, dont on retrouve avec grande émotion la voix, le timbre inimitable, en lisant le Pied à l’encrier. « Lire, c’est vivre ? C’est beaucoup mieux que ça. Lisant les récits d’Adalbert Stifter, je peux encore croire que je suis une princesse. » Herbier d’herbes folles, journal de bord, cahier de rêves et de lectures, promenades, aphorismes et trouvailles, coïncidences médusantes, rapprochements éclairants, étonnements et coups de sang : c’est tout cela, le Pied à l’encrier. Quatre ans de notes le plus souvent lapidaires, prises au jour le jour par un homme qui lit comme il respire pour déplacer l’espace et le temps. La poésie est une manière de vivre et d’être au monde. C’est une banalité de le dire et Peuchmaurd n’épilogue certes pas là-dessus — lui qu’horripile le blabla contemporain sur le « travail de l’écriture », ce qui change agréablement de bien des phraseurs. Il n’a d’ailleurs pas besoin de le faire. On l’éprouve, physiquement, comme un frisson dans l’échine, comme le passage d’un renard bleu dans une sente forestière, à toutes les pages de ce livre qui rend soudain l’air plus respirable.

Pierre PEUCHMAURD, le Pied à l’encrier. Les loups sont fâchés, 2009, 160 p.


mardi 29 décembre 2009 | Au fil des pages | 2 commentaires


Le piano désossé

On dirait toujours qu’il apprend à se servir de l’instrument et qu’il en est au mieux à sa deuxième leçon, mais le miracle de Monk, ce qu’il fait en réalité, c’est que, le piano, il va le chercher jusqu’à l’os, laissant l’ivoire aux pauvres.

Pierre Peuchmaurd, le Pied à l’encrier

 

Il n’y a que les poètes qui savent écrire sur le jazz. Voir aussi Jacques Réda et Puissances du jazz de Gérard Legrand.


lundi 28 décembre 2009 | Dans les oneilles,Grappilles | Aucun commentaire


Au soleil noir de Billie Holiday

Dans notre série « Profitons de l’effondrement du marché du disque pendant que ça dure et avant qu’on n’ait plus que des mp3 tout pourris à se mettre dans les oneilles», l’intégrale des enregistrements Columbia de Billie Holiday, qui coûtait un pont voici quelques années — dans un emballage, il est vrai, beaucoup plus luxueux —, se négocie à présent aux alentours de vingt-deux euros. Le coffret compte dix CD, faites le calcul.

À part quoi, la musique est sublime, mais vous le saviez déjà. Ceux qui ne connaîtraient que la Billie déchirante des années Verve seront conquis par la fraîcheur juvénile et même l’insouciance de ces séances des années 1930 et 1940. C’est la face solaire du génie de Holiday, moins célébrée que sa face crépusculaire devenue iconique, mais qui est partie intégrante de sa persona musicale. Passé des débuts un peu tâtonnants avec Benny Goodman (à qui l’avait recommandé l’infatigable dénicheur de talents John Hammond), on découvre une chanteuse de vingt ans en pleine possession de ses moyens, qui ravit par l’émotion sans emphase, la grâce ou l’humour avec lesquels elle plane comme en apesanteur sur un répertoire où de solides standards alternent avec les chansonnettes oubliables de Tin Pan Alley. Holiday a su d’emblée tirer le meilleur parti d’une tessiture étroite et d’un timbre vocal qui fait chavirer le cœur, en s’appuyant sur un sens instinctif de la paraphrase et du tempo. Elle chante fréquemment avec un léger retard sur le temps, comme un chat qui s’étirerait nonchalamment sur la partition. Il en naît un swing décontracté, en parfaite osmose avec celui de Lester Young. Entre ces deux-là, l’entente est télépathique. Ils s’anticipent et se prolongent l’un l’autre. Lorsque le ténor déplie ses volutes vaporeuses derrière la chanteuse, leurs deux lignes mélodiques s’entrelacent comme les branches d’un lierre.

Les plus belles de ces faces de trois minutes ont la perfection d’une miniature. Elles réalisent sans effort apparent un équilibre idéal de l’élaboration et de la spontanéité. Au sein de l’orchestre de Teddy Wilson, qui est la classe et l’élégance mêmes, puis avec sa propre formation où l’on retrouve sensiblement le même personnel, Holiday a réinventé le rapport entre parties vocale et instrumentale. Ce n’est pas une chanteuse devant l’orchestre qui l’accompagne, mais une musicienne parmi ses pairs — et non des moindres : outre Lester Young, Roy Eldridge, Ben Webster, Buck Clayton, etc. La voix se fait instrument à part entière, la partie chantée devient un solo qui s’insère en souplesse entre les chorus de ses partenaires. Une leçon que n’oublieront ni Anita O’Day ni le Mel Tormé des séances avec Marty Paich (Too Close for Comfort, I Love to Watch the Moonlight).

Nice Work If You Can Get It (1937).
[audio:http://home.scarlet.be/~th046862/zk/bh01.mp3]
Easy to Love (1936).
[audio:http://home.scarlet.be/~th046862/zk/bh02.mp3]
Me, Myself and I (1937).
[audio:http://home.scarlet.be/~th046862/zk/bh03.mp3]

The Complete Billie HOLIDAY on Columbia (1933-1944). Sony Music/Columbia Legacy.


vendredi 11 décembre 2009 | Dans les oneilles | 6 commentaires