Ce qu’ils lisent

Liège
– dans l’autobus 4 en direction des Guillemins, une étudiante a posé à côté d’elle Pivoine de Pearl Buck.
Bruxelles
– dans le métro, direction Hermann-Debroux, un trentenaire déplumé à sandales lit debout un manga (titre indéchiffrable).
– à Mérode, sous l’abribus, une petite dame est plongée dans un roman policier à couverture sanglante (titre indéchiffrable).
Gare du Midi
– face à l’escalator menant au quai n° 10, un trentenaire barbichu portant sac à dos sur l’épaule lit debout Deception Point de Dan Brown.
– sur le quai n° 14 passe un homme trapu tenant un exemplaire de Communio, revue catholique, ainsi qu’un sachet de chips.
Dans le train Bruxelles-Liège
– un trentenaire barbu portant une chaîne autour du cou lit Plateforme de Michel Houellebecq, mais son regard est bientôt attiré par le journal de sa voisine.
– une dame parcourt l’allée centrale, tenant sous le bras une biographie de Charles V (exemplaire de bibliothèque).
– une autre dame plus âgée lit l’Enfant de sable de Tahar Ben Jelloun.
Liège-Guillemins
– sous l’abribus, une jeune femme à grandes lunettes referme un volume de la trilogie Millenium de Stieg Larsson et monte dans le 48.


jeudi 15 mai 2008 | Ce qu'ils lisent | 4 commentaires


La machine à fantasmes

Imaginez-vous donc un individu long, maigre, félin, les épaules hautes ; donnez-lui le front de Shakespeare et le visage de Satan, un crâne soigneusement rasé et des yeux verts – verts comme ceux des chats. Mettez à sa disposition toute la cruauté d’un vaste peuple d’Asie, concentrée en un esprit géant, toutes les ressources de la science du passé et du présent et peut-être bien toute la fortune d’un riche gouvernement […] Cet être effroyable, le voyez-vous en esprit ? Eh bien, je vous présente le Dr Fu Manchu.

Fu Manchu revient chez Zulma, dans une traduction nouvelle d’Anne-Sylvie Homassel (collaboratrice de la revue Le Visage vert, et traductrice bien connue des amateurs de littérature anglo-saxonne). Deux autres volumes sont annoncés, prélude – peut-être – à une retraduction intégrale d’un cycle qui compte treize romans et quelques nouvelles. Tout le monde connaît, au moins de réputation, les sinistres exploits du Fantômas d’Extrême-Orient ; mais, comme pour le héros d’Allain et Souvestre, le détour par le texte d’origine s’impose à tout amateur de fiction extravagante.

Chef de bande omniscient, savant fou et génie du crime aux pouvoirs tentaculaires, résolu par tous les moyens à mettre fin à la domination occidentale sur le monde, Fu Manchu, nul ne l’ignore, est l’incarnation du péril jaune. Sa geste, inaugurée en 1913, cristallise la hantise – déjà – du « choc des civilisations », les inquiétudes de l’Empire britannique vis-à-vis de ses colonies turbulentes, les fantasmes de l’homme blanc face aux peuples dits de couleur. Du mystère insondable de l’âme orientale à la cruauté perverse des fourbes Asiates, en passant par les parfums ensorcelants du levant (le sens olfactif est, ici, particulièrement sollicité), Sax Rohmer n’est jamais en manque d’énormités réjouissantes, assénées avec un imperturbable aplomb.

Une brise légère faisait bruisser les feuilles des arbres ; par longues bouffées un parfum exotique vint envahir la pièce.
C’était un vent d’est – un vent jaune, soufflant sur l’Occident. Il symbolisait le pouvoir subtil et insaisissable du Dr Fu Manchu, de même que Nayland Smith – nerveux, agile, hâlé par le soleil de Birmanie – symbolisait la saine efficacité britannique, mobilisée contre cet ennemi insidieux.

Ce délire paranoïaque – de facto désamorcé par sa candeur hénaurme : ah ! la «saine efficacité britannique » ! – prêterait seulement à sourire s’il ne stimulait la verve inlassable du feuilletoniste, pour la plus grande joie du lecteur. Les fantasmes de Rohmer sont peut-être banals, mais ce qu’ils produisent sous sa plume fiévreuse ne l’est certes pas. Des brouillards londoniens aux eaux glacées de la Tamise, de repaires souterrains en cauchemars hallucinatoires, les chapitres se succèdent à un rythme soutenu comme les épisodes d’un serial onirique. À la fois partout et nulle part, le diabolique Fu Manchu fait preuve, dans son œuvre de mort, d’une inventivité sans limites, en mobilisant tour à tour des poisons subtils qui font passer de vie à trépas (et inversement !), de répugnants insectes, un nuage toxique s’échappant d’un sarcophage, des champignons vénéneux géants (épisode démentiel), et bien d’autres choses encore. Ajoutons que la fascination de Sax Rohmer pour les dangereux mystères de l’Orient, comme la plupart des phénomènes d’attraction-répulsion, est bien entendu de nature sexuelle. En témoigne le vertige érotique qui subjugue le bon docteur Petrie à chaque apparition de Kâramanèh, la belle esclave de Fu Manchu, laquelle n’hésite pas à trahir son maître pour venir en aide aux preux défenseurs de l’Occident. (Par parenthèse, on voit où Henri Vernes a puisé les modèles de l’Ombre jaune et de Tania Orloff, sans oublier les dacoïts et leur célèbre cri – oui, ils sont là eux aussi.) La femme, cette « lame à double tranchant », cette « arme traîtresse », taraudait manifestement notre auteur au moins autant que la perfide Asie, puisqu’il lui consacra un autre cycle romanesque, Sumuru, dont on dit qu’il est au péril féminin (!) ce que Fu Manchu est au péril jaune (j’en parle par ouï-dire, ne l’ayant pas lu). On ne s’en plaindra pas.

Zulma a choisi de présenter le texte sans aucun appareil critique, et cette option est aussi défendable que celle de la précédente édition (chez Alta, il y a une trentaine d’années), qu’accompagnaient de passionnantes préfaces de Francis Lacassin. On peut en effet estimer que la saga de Fu Manchu dispense un plaisir de lire qui se suffit à lui-même, et que le lecteur est assez grand pour juger sur pièces. Or, et de manière quelque peu contradictoire, il faut découvrir sur la toile un entretien avec Anne-Sylvie Homassel pour apprendre ceci :

Rohmer n’est pas extrêmement difficile à traduire. Cela dit, je suis d’ordinaire plutôt adepte de la traduction qui colle au texte original. Dans cette affaire, Laure Leroy m’a quelque peu poussée au crime. Les personnages de Rohmer ont quelques tics et quelques phobies dont la répétition est parfois fastidieuse. J’ai parfois simplifié, parfois surtraduit pour obtenir un texte encore plus nerveux. Mais vous allez peut-être me parler du Péril jaune et des aspects racistes de la série… Très franchement, j’ai, d’un commun accord avec l’éditeur, réduit le nombre des références à la « race jaune » et autres traits déplaisants du texte, parce que notre but n’est pas de heurter, mais de distraire et de charmer. Réduit, mais pas gommé, ce qui n’aurait pas eu de sens. Qu’on se rassure, le terrible Fu Manchu incarne toujours le Péril jaune dans toute sa splendeur. Et les fantasmes du Dr Petrie sont toujours aussi lascivement moyen-orientaux.

N’y avait-il pas lieu d’en informer le lecteur par un bref avertissement ?

Sax ROHMER, le Mystérieux Docteur Fu Manchu (The Mystery of Dr Fu Manchu). Traduction d’Anne-Sylvie Homassel. Zulma, 2008, 319 p.


lundi 12 mai 2008 | Rompols | 1 commentaire


So long, Jimmy


Conversation en chambre : Jimmy Giuffre, Bob Brookmeyer et Jim Hall

Jimmy Giuffre, c’était d’abord un art de la conversation mezzo voce. Conversations avec soi-même, en des soliloques méditatifs qu’il accompagnait en tapant du pied. Duos sinueux avec l’excellent André Jaume, qui fut l’artisan de sa redécouverte à la fin des années 1980 ; on l’entendit aussi – sur des enregistrements rarissimes radiodiffusés naguère par Alain Gerber – dialoguer à la clarinette avec la rumeur urbaine, et même avec une goutte d’eau tombant du robinet dans l’évier, et c’était magnifique. Conversations à trois, enfin ou d’abord, puisque le trio – sans batterie de préférence – fut son format d’élection. Avec Jim Hall et Ralph Peña (auquel succéda Bob Brookmeyer), mais surtout avec Paul Bley et Steve Swallow, ce pionnier discret a renouvelé en profondeur l’art de l’improvisation libre. Sans grand succès public à l’époque (le trio avec Bley et Swallow s’est dissous à l’issue d’un concert dans un café new-yorkais où chaque musicien avait gagné la somme mirifique de 35 cents), mais avec un retentissement considérable auprès des musiciens, il a frayé la voie aux musiques improvisées des décennies suivantes.

Musicien phare du jazz West Coast, Giuffre fait la jonction entre les deux avenues principales de ce courant multiforme : la science de l’arrangement pour moyenne et grande formation ; l’expérimentation sur son versant cool, avec ses combinaisons instrumentales inédites (saxo/trompette/batterie ; clarinette/trombone/guitare ; clarinette/hautbois/basson/cor anglais/contrebasse, etc.). Arrangeur hors-pair rompu à l’art du contrepoint, du mariage des timbres et de la forme concertante, il compose à ses débuts, pour le big band de Woody Herman, le célèbre et toujours enchanteur Four Brothers, qui deviendra le thème emblématique du jazz californien. À Lee Konitz, Anita O’Day et quelques autres, il offre des orchestrations ensorcelantes, tapis volants déployés sous leurs pieds avec un art consommé de la dramaturgie sonore. Parallèlement, avec Shorty Rogers et Shelly Manne, puis au sein de ses trios successifs, il explore une autre manière de jouer free, loin des fureurs de la New Thing, en inventant un jazz de chambre tenté par l’abstraction évanescente et les climats debussyens, sans cesser d’être profondément enraciné dans le blues et les folk-songs du sud-ouest américain. Cet alliage de blues-based folk jazz (comme il aimait à dire) et de chambrisme à l’européenne donne à sa musique rêveuse une couleur unique, sans équivalent dans le jazz moderne – dont s’est peut-être souvenu le clarinettiste Michael Moore en enregistrant un superbe disque en trio sur des thèmes de Bob Dylan.

Jimmy Giuffre, c’était encore le compositeur merveilleux de The Train and the River, mais aussi de Gotta Dance, Jesus Maria, Emphasis, Cry Want, Me Too,… qui reviennent me hanter au moment où j’apprends avec retard et tristesse la nouvelle de sa mort, survenue le 24 avril dernier, à l’avant-veille de son quatre-vingt-septième anniversaire.


mardi 6 mai 2008 | Dans les oneilles | 1 commentaire


Le palimpseste de Morel

Dans l’entretien qu’il a accordé aux Inrockuptibles sur Second Life, Chris Marker fait erreur, il me semble, en attribuant à Max Jacob l’histoire des deux masques qui se donnent rendez-vous et découvrent stupéfaits que ni l’un ni l’autre n’est celui qu’ils croyaient — ou alors, c’est que Jacob a plagié sans vergogne Alphonse Allais (Un drame bien parisien). Mais il a cent fois raison de recommander la lecture de l’Invention de Morel. Non seulement parce que le roman de Bioy Casares est, selon ses mots, un livre prémonitoire sur le « sentiment de la porosité entre le réel et le virtuel ». Mais encore parce que cette histoire d’amour bouleversante — l’une des plus belles qui fut jamais écrite – peut aussi se lire comme une allégorie de la relation du cinéphile aux fantômes de l’écran — qui n’a jamais rêvé d’entrer dans le film pour étreindre la créature de ses rêves ? Et enfin parce que l’Invention est l’image dans le tapis, le texte-palimpseste d’une précieuse constellation cinématographique où Marker lui-même figure en bonne place. Il y a, sciemment ou non, un effet Morel dans Vertigo et dans la Jetée, dans Marienbad et Je t’aime, je t’aime, tous films où le protagoniste cherche à rencontrer, retenir, aimer et/ou retrouver une femme qui appartient à un autre continuum temporel, une autre strate de réalité, et qu’il ne pourra rejoindre — pour la perdre à nouveau — que dans la mort. Si, comme l’affirmait Borges, toute œuvre créée ses précurseurs, alors le livre de Bioy est bien le précurseur de ces films liés les uns aux autres par un jeu secret de correspondances et d’échos intimes, de hasards extérieurs nécessaires (quelques années après avoir réalisé la Jetée, Marker, dont on sait le culte qu’il voue à Vertigo, suggéra à Resnais de rencontrer Jacques Sternberg, autre grand amoureux des chats, qui allait écrire pour lui le scénario du magnifique Je t’aime, je t’aime). Être moins allusif m’obligerait à déflorer la trame du roman, ce à quoi je me refuse absolument. Ceux qui l’ont lu auront compris. Les autres savent ce qu’il leur reste à faire.




Wu Ming à Liège

En littérature, et plus encore au cinéma, le jazz est un grand pourvoyeur de clichés, un réservoir d’imagerie convenue. Rares sont les fictions qui font ressentir, dans les fibres mêmes de leur écriture, la pulsation intime, l’énergie de cette musique. Et plus rares encore celles qui choisissent pour sujet l’avant-garde des années 1960, plutôt que le pittoresque de la Nouvelle-Orléans, le glamour des grands orchestres swing ou les années be-bop d’après-guerre, ô combien plus iconiques. New Thing de Wu Ming 1 tient ce double pari haut la main. Plus qu’un roman sur le jazz, un roman-jazz.

Voici donc New York à la fin des années 1960. Un mystérieux tueur en série, surnommé le Fils de Whiteman, assassine de jeunes musiciens de free jazz. Une journaliste, Sonia Langmut, couvre l’affaire pour un quotidien de Brooklyn, flanquée de son inséparable magnétophone avec lequel elle enregistre tout (concerts, conversations : des kilomètres de bandes). En toile de fond, le racisme ordinaire et la lutte pour les droits civiques, la montée du Black Power, les soulèvements qui suivent les assassinats de Malcolm X et Martin Luther King – tandis que dans l’ombre les officines des services secrets préparent à coups d’intox et d’infiltration la répression qui s’abattra sur les mouvements radicaux. Et, sur la bande-son, Ornette Coleman, Archie Shepp, Cecil Taylor, Albert Ayler, Sun Ra et un John Coltrane passé de l’autre côté de la musique – auquel l’auteur prête sans ridicule une sorte de monologue intérieur surgi d’outre-tombe.

New Thing restitue avec une grande puissance d’écriture le climat d’une époque où révolution musicale et insurrection politique furent indissociablement liés. La forme du livre épouse intimement son sujet : jam-session polyphonique où les voix de musiciens, de journalistes et de gens de la rue se croisent, se répondent, se complètent ou se contredisent, chacun prenant son chorus à son tour ; enquête à la Citizen Kane sur ce qu’est devenue Sonia Langmut, disparue sans laisser de traces quelque temps après l’affaire ; collage de faits et de fiction juxtaposant comme des pièces de dossier témoignages, envolées lyriques, articles de journaux, fiches du FBI et nombreux emprunts à des textes d’époque.

L’auteur, comme son nom de plume ne l’indique pas, est italien. Wu Ming est un groupe de cinq écrivains qui ont adopté ce pseudonyme collectif autant par défiance envers le vedettariat littéraire que pour mettre l’accent sur leur rapport au politique (wu ming, qui signifie « sans nom » ou « cinq noms » selon la prononciation, est la signature employée par les dissidents chinois). Les Wu Ming militent pour le copyleft, la désobéissance civile, l’affirmation d’un autre monde possible, dans leurs livres et par le biais de canulars médiatiques.

Les membres du collectif ont publié plusieurs romans écrits tantôt à plusieurs mains, tantôt en solitaire (auquel cas ils sont signés Wu Ming 1, 2, 3, etc.). Deux d’entre eux ont paru en français chez Métailié : outre New Thing, Guerre aux humains de Wu Ming 2, qui narre une tentative utopique de fonder une nouvelle civilisation dans l’Italie du XXIe siècle.

Le 23 avril à partir de 19 heures, la librairie Livre aux Trésors propose une rencontre avec les deux auteurs, ainsi qu’avec leur traducteur français Serge Quadruppani. La soirée débutera par la projection d’un documentaire d’archives de jazz, et se conclura par deux concerts : le duo Adem (Alain Delbrassine et Éric Mingelbier) et le trio Riccardo Luppi, Manolo Cabras et Antoine Cirri.

WU MING 1, New Thing. Traduction de Serge Quadruppani. Métailié, 2007, 217 p.

Maison de l’Environnement du Jardin Botanique, 3, rue Fusch, 4000 Liège.


dimanche 20 avril 2008 | Actuelles,Au fil des pages | Aucun commentaire


On nous cache tout

Jean-Patrick Manchette avait un frère jumeau et nous n’en savions rien. Honneur au Nouvel Obs – toujours à l’affût du scoop – qui le trompette à la une.


vendredi 18 avril 2008 | Grappilles | 1 commentaire


Le chaos fertile

Qu’est devenu le Mount Everest Trio ? demandions-nous voici quelque temps. Eh bien des nouvelles nous sont parvenues de Suède de manière inattendue, d’où il ressort que ses membres n’avaient en réalité jamais cessé d’être actifs sur la scène suédoise. Récemment, Conny Sjökvist a dû malheureusement poser ses baguettes pour raisons de santé ; mais Gilbert Holmström et Kjell Jansson continuent de se produire et d’enregistrer, ensemble ou séparément.

Fraîchement sorti des presses, The Mandelbrot Set les réunit tous deux dans le quartet du saxophoniste, qui compte également dans ses rangs le tromboniste Pider Åvall et le batteur Anders Söderling. Le titre de l’album fait référence à une fractale découverte par le mathématicien Benoît Mandelbrot (la pièce la plus abstraite du disque, Som vindar, semble en effet évoquer quelque mystérieux objet mathématique en forme de méduse flottant dans un espace éthéré), dans laquelle les quatre musiciens voient une métaphore de leur pratique, placée sous le signe conjoint de l’ordre et du chaos : « L’ordre engendre des formes, le chaos la variété. L’ordre seul est monotone, le chaos seul est confusion ». À la jonction de l’un et l’autre, les séduisantes compositions de Holmström, très élaborées dans leur complexité rythmique et leurs harmoniques intrigantes (Blues for NYCF ou Press All Buttons), servent donc de tremplin aux impros post-bop des solistes, qui s’élancent parfois jusque dans les parages du free. Au passage, le quartet rend un court et bel hommage à Mingus avec Charles Not Charlie, où le solo inaugural de Jansson, les motifs et l’alliage des timbres installent un climat tout à fait mingusien, période Ah Um, sans verser dans le pastiche. Trente ans après Waves From Albert Ayler, Holmström reste un ténor énergique et mordant (on l’entend aussi à la trompette), aux solos remarquablement charpentés, tandis qu’Åvall se révèle un tromboniste plein d’intérêt maîtrisant toutes les ressources de son instrument, depuis le classique effet de coulisse jusqu’aux grondements modulés. Çà et là néanmoins, le groupe semble se retenir de donner « toute la gomme », de sorte que ce disque en studio mériterait d’être prolongé par un enregistrement en concert, plus brut de décoffrage.

Le dernier morceau de The Mandelbrot Set est dédié à Don Cherry, qui vécut en Suède dans les années 1970-1980 et fut une figure tutélaire pour deux générations de modernistes. En témoigne The Thing, construit pour l’essentiel autour de quatre pièces de Cherry, où le poly-instrumentiste Mats Gustafsson (de trente ans le cadet de Holmström) se trouve à la tête d’un trio free surpuissant, branché sur le 220 volts. Capable de construire un solo fascinant rien qu’en faisant circuler et palpiter son souffle dans le corps de son instrument, Gustafsson déchaîne le plus souvent un formidable ouragan sonore, propulsé par la basse d’Ingebrigt Haker Flaten et surtout la batterie aussi torrentueuse que précise de Paal Nilssen-Love, qui est, à 34 ans, l’un des prodiges de sa génération. Grandiose.

Gilbert HOLMSTRÖM Quartet. The Mandelbrot Set. ELD Records (2006-2007).
On peut écouter deux morceaux sur le site du groupe. Et deux extraits de concert sur Youtube.
Mats GUSTAFSSON, The Thing. Crazy Wisdom (2000).

Gustafsson et Nilssen-Love ont aussi cosigné un réjouissant disque bruitiste dont le titre annonce la couleur : I Love It When You Snore (Smalltown Supersound). Courts extraits ici.


lundi 14 avril 2008 | Dans les oneilles | 2 commentaires