Pêle-mêle

Le soir, Clarisse couchée, sagement, avec un roman de M. Jules Mary pour m’attendre, je descends à minuit porter mes lettres à la poste. Vieille habitude : lorsque je ne suis pas sorti de la soirée, je vais entre minuit et une heure porter mes lettres à la poste, même lorsque je n’ai pas écrit de lettres. À cette heure-là, il me vient généralement quelques idées, je les note sur des bouts de papier en rentrant, et, le lendemain, j’égare les bouts de papier ; c’est ce que j’appelle ma méthode de travail.

*

Les goûts de Franz en ameublement se subordonnent nettement à une douce manie qui lui est chère, comme tous les bons esprits d’ailleurs : la manie de l’encombrement.
Franz ne l’avouerait peut-être pas, et il aurait tort, car l’encombrement procure à ses fervents des joies pures entre toutes. Ne pouvoir se procurer d’allumettes qu’en déplaçant deux tables, un fauteuil, trois vases, des gravures, une douzaine de livres d’amis, pas coupés (je parle des livres), jamais les profanes ne sauront jouir de cette âpre volupté ; n’atteindre son carnet d’adresses, dont on a si grand besoin tout de suite, qu’en faisant glisser sur le cartonnier les piles de journaux qui cachaient la machine à cigarettes, jamais les enragés de classification – âmes de philatélistes – ne comprendront ce que cela peut avoir d’ineffablement intime. L’encombrement ! Je n’ai pas dit le désordre ! Savoir où sont les choses, mais qu’elles gîtent en des endroits compliqués !

Jean de Tinan, Maîtresse d’esthètes (1897).


lundi 24 juillet 2006 | Grappilles | Aucun commentaire


Envoi


Dédicace de Musidora à Breton
(source : catalogue de la vente André Breton, avril 2003)


mardi 11 juillet 2006 | Grappilles | Aucun commentaire


Le Bibliothécaire

Le Bibliothécaire a suscité un bouche à oreille très louangeur au début de l’année. Je me demande si nous avons lu le même livre, le bouche à oreille et moi. Le contexte : la veille des élections présidentielles américaines. Le héros : un modeste bibliothécaire de l’université de Washington, David Goldberg, engagé pour classer les archives privées d’un vieux crocodile affairiste et multimillionnaire qui est aussi le plus gros bailleur de fonds du parti républicain. Alors qu’il aurait dû être réélu dans un fauteuil, le président sortant – dans lequel chacun reconnaîtra un portrait-charge de George Bush Jr. – est mis en difficulté par la candidate démocrate. Aussitôt, les hommes de l’ombre s’activent pour assurer coûte que coûte sa réélection. Et parce qu’il pourrait avoir eu en main des documents compromettants, Goldberg devient l’homme à abattre des services de la Sécurité intérieure.

Le meilleur du livre, c’est la description des coulisses d’une campagne présidentielle: cynisme à tous les étages, financements occultes, coups tordus pour salir l’adversaire, mariage incestueux bien connu du pouvoir et de l’argent. Le débat télévisé entre les deux présidentiables – et ses répercussions immédiates dans les sondages d’opinion – donne lieu à un morceau de bravoure fort bien enlevé. Beinhart, qui avait publié voici dix ans Reality Show (dont Barry Levinson avait tiré le film Wag the Dog/Des hommes d’influence), est manifestement sur son terrain lorsqu’il s’agit de démonter les mécanismes de la désinformation, en montrant qu’elle est moins le fruit d’une manipulation que le produit du fonctionnement même de la machine médiatique (mémoire sélective, emballements, ressassement, surenchère et suivisme). À cet égard, le personnage le plus réussi du livre est Calvin Hagopian, gourou en communication de la candidate démocrate, dont le point de vue à la fois lucide et cynique sur la télédémocratie mérite le détour. Au passage, Beinhart développe, exemples à l’appui, la notion intéressante de fog facts, ces faits qu’on connaît sans les connaître et qui, bien qu’exposés à la vue de tous, n’en restent pas moins enveloppés dans un écran de fumée, noyés qu’ils sont dans une information désormais si pléthorique qu’elle devient malaisée à percevoir clairement et à hiérarchiser.

Malheureusement, ce qui s’annonçait comme un roman noir documenté bascule bien vite dans le super-thriller précuit pour les Majors hollywoodiens, avec personnages en carton-pâte, abondance de clichés d’écriture et de situations, ficelles grossières et rebondissements énormes qui feraient passer 24 heures chrono pour un modèle de subtilité dramatique. Le ton oscille entre le sérieux et la charge outrée, tantôt efficace et tantôt mal ajustée. Le bibliothécaire dépourvu d’héroïsme se mue tout soudain en un émule de Jack Bauer, triomphe de tueurs sadiques et de barbouzes professionnels et conquiert au passage l’amour de la plus belle femme du monde. En somme, Beinhart nous refait le coup du petit homme seul qui vaincra le méchant système à lui tout seul en déjouant un complot visant à voler l’élection – sauf que la barque est si lourdement chargée que, même en acceptant les conventions propres au genre, le livre perd toute crédibilité en cours de route et sombre dans le ridicule. Ajoutons qu’aussi légitime soit-elle en soi, la dénonciation des agissements de l’administration Bush et de l’establishment républicain (mesures fiscales favorables aux plus riches, coupes claires dans les services publics, restrictions des libertés publiques consécutives aux attentats du 11 septembre et au Patriot Act) vire fréquemment à la dissertation plaquée sur la fiction, au point d’en devenir contre-productive.

Larry BEINHARDT, le Bibliothécaire (The Librarian). Traduction de Patrice Carrer. Gallimard, Série noire, 2005, 450 p.


dimanche 9 juillet 2006 | Rompols | 1 commentaire


Chambres


Paris, rue des Martyrs, juin 2006


Paris, Porte de Bagnolet, juin 2006


Bruxelles, mars 2006


vendredi 7 juillet 2006 | Chambres | 2 commentaires


Don Friedman

Avez-vous jamais remarqué que, quand vous entendez un nom
qui vous frappe, vous croyez pour un temps le retrouver sans cesse ?

John Buchan, la Centrale d’énergie

Découverte tardive de ce pianiste grâce à l’émission d’Alain Gerber : une pièce atmosphérique, extraite de la suite A Day in the City, laquelle évoque à la manière des «symphonies d’une grande ville» les différentes heures de la vie urbaine, de l’aube à la nuit. On dirait du Bill Evans expérimental, c’est intrigant et très séduisant. Dans les jours qui suivent, je tombe sur ce disque dans une boutique d’occasion, suivant la loi des vrais-faux hasards bien connue des chasseurs de trésors. Bonne pioche, car voici sans conteste un des meilleurs disques en trio du début des années 1960. Friedman fit ses débuts à la fin des années 1950, puis connut une semi-éclipse avant d’être repêché par le label SteepleChase au milieu des années 1990. On l’a inévitablement rapproché de Bill Evans (j’ai moi-même cédé à cette facilité quelques lignes plus haut). Il y a un indéniable air de famille, mais Friedman a son langage, son monde propre, moins introverti, plus abstrait (mais non pas cérébral), avec un touché plus percussif, un phrasé plus nerveux et plus anguleux, qui trouvent en Chuck Israels et Pete LaRoca un répondant idéal. Le programme allie standards (belles versions d’I Hear a Rhapsody et d’In Your Own Sweet Way) et pièces originales, qui révèlent en Friedman un compositeur de grand intérêt, ayant une prédilection pour les rythmes brisés. Des morceaux comme Circle Waltz, Sea’s Breeze et Mode Pivoting mériteraient d’être (re)découverts et d’intégrer le répertoire du piano jazz contemporain. Vivement recommandé.

Don FRIEDMAN, Circle Waltz. Riverside/OJCCD 1885.


lundi 3 juillet 2006 | Dans les oneilles | Aucun commentaire


Bibliothèques

Atelier-bibliothèque (Bruxelles) ; classement par ordre alphabétique d’auteurs


samedi 1 juillet 2006 | Bibliothèques | 2 commentaires


Les possibilités du dialogue

Peut-on encore enregistrer un disque de standards qui ne sente pas le réchauffé ? La preuve avec cette séance en duo touchée par la grâce – Warren Vaché au flugelhorn et au cornet, avec ou sans sourdine (superbe timbre), et Bill Charlap au piano. Rien de révolutionnaire ici, ce n’est pas le propos, mais le plaisir contagieux de revisiter avec une finesse extrême et une rare fraîcheur une douzaine de classiques du répertoire. Rien de révolutionnaire, mais rien de platement revivaliste non plus. Vaché et Charlap ne refont pas Weather Bird d’Armstrong et Hines soixante ans plus tard. Voir, par exemple dans You and the Night and the Music, comment Charlap place fréquemment ses accords de soutien légèrement à contre-temps, jamais tout à fait là où on les attend, jouant à la fois « avec » et « contre » son partenaire. Peu de disques de ce genre dispensent un tel bonheur d’écoute.

Warren VACHÉ / Bill CHARLAP, 2gether. Nagel-Hayer 2011. La prise de son est splendide.


lundi 19 juin 2006 | Dans les oneilles | Aucun commentaire