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Marseille, hôtel Ibis Styles
Saint-Mandrier
Nice, hôtel Byakko
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William Goldman, les Aventures d’un scénariste à Hollywood. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Rousselot, Capricci, 2022. Pas d’index.
Il s’agit d’un choix d’une vingtaine de chapitres, effectué par le traducteur Jean Rousselot dans deux volumes de mémoires parus en 1983 et 2000. Romancier « entré dans l’univers du cinéma sur un malentendu total », William Goldman compte à son palmarès les scénarios de Harper, Butch Cassidy et le Kid, la Kermesse des aigles, Marathon Man, les Hommes du président (d’où il fut débarqué ; Pakula était apparemment coutumier du fait), l’Étoffe des héros (qu’il quitta de lui-même à la suite d’un différend de fond avec Kaufman), Princess Bride, Misery, Absolute Power et bien d’autres plus oubliables. Le cinéphile aussi bien que l’apprenti scénariste tireront autant de profit que d’agrément de la lecture de ses mémoires. Sur un ton familier et chaleureux multipliant les adresses au lecteur, Goldman raconte avec entrain, humour et franchise ses débuts dans la profession, ses réussites et ses échecs, également riches en enseignements. Outre les aperçus concrets sur la scénarisation – l’importance du point de vue, le moment clé de l’exposition, la construction d’un film, d’une scène, etc. –, son témoignage est instructif sur l’étape de la mise en chantier d’un projet et l’espèce de folie permanente qui règne dans le monde du cinéma : le producteur qu’il faut intéresser (et qui demande des réécritures), lequel se met en quête de vedettes et d’un metteur en scène (qui demandent à leur tour des réécritures), les querelles d’égos et d’argent de tout ce petit monde… C’est un tel parcours du combattant qu’on se demande, à le lire, par quel miracle un film parvient à voir le jour.
Paul Morand, Flèche d’Orient. Paris, Gallimard, « les Rois du jour », 1932. Belle composition typographique aérée. Texte repris dans Nouvelles complètes, vol. 1, Bibliothèque de la Pléiade, 1992.
Paul Morand est un mélange désarmant d’intelligence et de sottise. Il sait admirablement voir les choses et les donner à voir. On aimerait qu’il s’en tienne là et nous épargne des considérations débiles sur l’âme des peuples et le destin des civilisations. Les cent soixante-dix pages de Flèche d’Orient s’avalent d’un trait. On peut en résumer l’argument comme suit. À la suite d’un pari mondain idiot, un Russe blanc exilé en France effectue un voyage éclair en Roumanie pour y faire l’emplette de caviar, ceci afin de prouver l’incomparable rapidité de la ligne aérienne Paris-Bucarest nouvellement ouverte. Sur place, rien ne passe comme prévu. Notre homme s’engourdit inexplicablement. Diverses rencontres l’entraînent à l’est, toujours plus à l’est, jusqu’à la frontière de son ancienne patrie où il sent retentir en lui l’appel éternel de l’âme slave. Dimitri ne rentrera pas en France.
Ah ouiche. Passons sur cette fin aussi idiote qu’artificieuse tant elle paraît plaquée sur le récit à des fins de démonstration. Auparavant, et heureusement pour nous, le romancier Morand s’est montré plus inspiré que l’idéologue. Le récit, comme souvent chez lui, s’articule autour d’une série de moments, qui abondent en images rapides, saisissantes de justesse : une soirée mondaine tournoyante dans un grand salon parisien ; la peinture de la misère effrayante des pêcheurs d’esturgeons dans des paysages déprimants de désolation ; et surtout la traversée aérienne de l’Europe, où l’écriture de Morand communique admirablement à son lecteur la sensation physique du voyage dans une carlingue assourdissante et secouée par les trous d’air. Morand est toujours à son affaire dans ces épisodes-là (cf. Lewis et Irène). La vitesse était décidément son cher sujet.
Selon les déductions de l’annotateur de la Pléiade Michel Collomb, Morand n’avait pas encore effectué le vol Paris-Bucarest lorsqu’il écrivit Flèche d’Orient. C’est quelques semaines après la première parution du texte dans la Revue de Paris qu’il embarqua dans un appareil de la CIDNA (Compagnie internationale de navigation aérienne). Nouvelle preuve de ce que la réalité imite l’imagination.
Paris, hôtel Ibis Styles République
Les filiations littéraires sont imprévisibles. De passage à Londres à l’automne 1910, Maurice Maeterlinck rend visite à J.M. Barrie et lui dit toute l’admiration qu’il porte à Peter Pan. Au terme de leur long entretien, le dramaturge belge laisse une trace de son passage en écrivant au crayon noir sur un lambris du bureau de Barrie :
« Hommage au père de Peter Pan, grand-père de l’Oiseau bleu. »
(Source : François Rivière, J.M. Barrie, l’enfant qui ne voulait pas grandir, Calmann-Lévy, 1991.)
Belle surprise que ce roman si calmement à l’écart des modes françaises. Ce n’est ni une autofiction règlement de comptes sur fond de viol ou d’inceste ni un exercice de sociologie de comptoir à base de fait divers illustrant l’aliénation des dominés. On respire.
Leur chamade mêle architecture et cinéma en faisant dialoguer trois époques, la fin des années 1960, les années 1990 et la période immédiatement contemporaine. Sur quoi se greffent des thèmes apparemment bateaux, le deuil et un scandale à la #MeToo, mais traités sans moralisme niais, en contournant élégamment les poncifs qui leur sont associés.
À la mort de sa mère Jacqueline, Edwige Sallandres retrouve et relit le journal de jeunesse qu’avait tenu celle-ci sur le tournage de la Chamade d’Alain Cavalier (film tiré d’un roman de Françoise Sagan), où elle était scripte assistante. Tout à la fois journal de tournage, journal intime et chronique en pointillé des événements de mai 68, ce document a pour Edwige valeur de récit fondateur, puisque c’est sur le plateau de la Chamade que se sont rencontrés ses parents.
À distance, il apparaît que ce film signait la fin d’une époque : production de luxe à vedettes mettant en scène de riches oisifs, anachronique à sa date alors qu’à l’extérieur des studios la société française s’embrasait ; moment de crise existentielle pour Alain Cavalier dont ce fut le dernier film réalisé dans un cadre de production traditionnel à l’intérieur duquel il étouffait de plus en plus. S’ensuivit un silence de huit ans, avant le rebond du Plein de super, commencement de sa « deuxième période » (tournages légers, semi-improvisés, coscénarisation avec ses interprètes).
Trente ans plus tard, Edwige est devenue architecte, accomplissant par là la vocation rentrée de son père. Diverses circonstances l’obligent à renouer sans gaieté de cœur avec son ex-mentor et amant, Daniel Giesbach, architecte non conformiste aussi brillant qu’insupportable (sa fureur au seul énoncé de l’expression « geste architectural » nous rend cependant sympathique cet homme invivable au quotidien). Ces retrouvailles à couteaux tirés les amènent néanmoins à reprendre un rituel de leur vie passée : rouler sans fin la nuit dans un Paris fantomatique, en faisant des haltes devant les immeubles qu’ils aiment et désirent se montrer l’un à l’autre.
On a aimé le classicisme sans âge de l’écriture de Jean-Pierre Montal, la maîtrise invisible avec laquelle il entrecroise les fils de sa tapisserie. Entre le roman de Sagan, le film de Cavalier et l’épisode contemporain, la narration ménage un jeu d’échos subtil. Une robe d’Yves Saint Laurent joue un rôle d’« objet symbolique » à signification plurielle sans rien perdre de sa présence matérielle, de l’éclat de sa couleur et de la texture de son étoffe : on reconnaît là un procédé cinématographique, dont le romancier réussit la transposition littéraire. Montal opère en outre avec succès la greffe d’un matériau documentaire sur une trame romanesque – on sait combien cet exercice demande du doigté 1. La saisie de l’ambiance de tournage de la Chamade, la peinture fugitive de personnages réels – outre Cavalier : Florence Malraux, Catherine Deneuve, Michel Piccoli – sont convaincantes, les dialogues sonnent juste. Parallèlement, l’évocation du parcours personnel et professionnel d’Edwige donne lieu à des aperçus captivants sur la splendeur et les misères du métier d’architecte (l’enfer des BTP, des appels d’offre, des chantiers dantesques), les querelles d’égos, les débats esthétiques, politiques et sociaux agitant ce petit monde, de même qu’à l’éloge d’une lignée souterraine d’architectes français ayant pour nom Pierre Dufau, Jean Dubuisson, Fernand Pouillon, Claude Parent et Roland Simounet – et qui appartiennent, à l’instar de la Chamade, à un temps révolu, bientôt oublié. Chemin faisant, on est amené à établir un parallèle entre un tournage de film et un chantier architectural : deux types d’ouvrages reposant sur un travail collectif, et qui menacent à tout moment d’échapper au contrôle de leur maître d’œuvre. On se demande aussi si, en rendant hommage aux architectes mentionnés ci-dessus – tous ennemis d’un exhibitionnisme de créateur, soucieux de cohérence interne et d’une intégration organique de chacun de leurs bâtiments à son environnement –, Jean-Pierre Montal n’esquisse pas entre les lignes sa propre poétique de romancier. Mais il importe de dire combien ces éléments n’ont rien de didactique ni de plaqué sur la fiction, parce qu’ils sont intimement tressés à la trame émotionnelle du livre, à l’élan intérieur des personnages, à leur manière d’être au monde.
Leur chamade est de ces livres dont l’écho perdure au-delà de la dernière page. Il donne envie d’en prolonger la lecture dans la vie réelle, par la déambulation. On se promet d’y relever les adresses des immeubles aimés par Edwige Sallandres et Daniel Giesbach pour aller les contempler à son tour lors d’un prochain séjour parisien.
1. On rapprochera à cet égard Leur chamade du Figurant de Didier Blonde (Gallimard), évocation romancée du tournage de Baisers volés, qu’on recommande aussi.
Jean-Pierre Montal, Leur chamade, Séguier, « l’Indéfinie », 2023, 246 p.